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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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celles qui savent se faire obéir des
bêtes, elle enveloppa les pieds de l’animal dans les morceaux de tissu épais. Le
temps de trouver et de passer une bride au cheval ainsi chaussé, de tirer le
vantail et, après un regard alentour, tout en parlant doucement à l’animal devenu
d’une surprenante docilité, de contourner sans bruit la maison, elle se trouva
sur la route de l’entre deux villes qui conduisait à Vevey. Avec une aisance
qui eût étonné ceux qui, une heure plus tôt, l’avaient recueillie prostrée et
défaillante au bord de la Veveyse, elle enfourcha sa monture dépourvue de selle
et prit, au trot, la direction de Rive-Reine.
    Tout dormait dans la ville, même la mère Chatard, quand la
cavalière, qui, à bord du cabriolet de Vuippens, avait repéré l’itinéraire, arriva
devant la grille close de la maison des Métaz. Elle se laissa glisser à terre, donna
une claque sur la croupe du cheval qui prit aussitôt le chemin du retour. L’animal
connaissait fort bien la route de Vevey à La Tour-de-Peilz pour avoir souvent, sans
être guidé, reconduit son maître, ivre ou endormi, jusqu’à son seuil !
    La pluie avait cessé mais le gel suspendait maintenant, à la
grille lancéolée de Rive-Reine, des stalactites de diamants. La femme en brisa une,
qu’elle se mit à sucer comme s’il se fût agi d’une friandise. Puis elle s’accroupit
contre le portail et, sa houppelande sur la tête, insensible au froid, s’endormit.
    Ce fut Pernette, première levée à Rive-Reine, qui la
découvrit, transie mais vivante. La bonne fille poussa un cri à la vue de cet
amas de chiffons crasseux, d’où sortaient une crinière brune encadrant un
visage blême de mourante.
    — Je vais te chercher du lait chaud, ma pauvre, dit
Pernette, retournant précipitamment dans la maison encore endormie.
    Quand, au retour, son bol à la main, la cuisinière s’engagea
dans la pénombre du corridor, elle faillit répandre le lait. La femme noire
était entrée et, affalée sans connaissance, gisait sur le parquet.
    Tremblante d’émotion contenue, Pernette se déchaussa et, marmonnant,
s’en fut alerter Lazlo, occupé à l’allumage des feux. La fille du pays d’En-Haut
avait mis des mois avant de donner sa confiance et son affection au grand
Tsigane. Puis, au fil des conversations d’office, elle s’était prise à le considérer
comme un parent. Lazlo, caractère à la fois rugueux et enjoué, la traitait avec
une tendre rudesse, lui évitait toutes les besognes pénibles, toujours prêt à
la seconder devant les fourneaux, comme les jours de lessive.
    — Viens, j’ai trouvé une femme dans la rue. Elle est
dans le corridor… on dirait qu’elle va passer, viens vite !
    — Ah ! Ah ! Les femmes ne meurent pas facilement.
Ce sont des animaux solides ! ricana Lazlo.
    — Viens-t’en voir celle-ci, qui pourrait bien te faire
mentir. Vite et fais pas de bruit ! Va pas réveiller la maîtresse, souffla
Pernette en le tirant par le pan de son bourgeron.
    Le Tsigane, conduit devant l’être engoncé de chiffons qui
gisait coincé entre une console et le mur, ramassa sans effort la trouvaille de
Pernette sans plus de précautions que s’il se fût agi d’un sac de pommes de
terre.
    — Porte-la dans la cuisine. Faut la réchauffer, ordonna
Pernette.
    Un coffre servait de huche. Lazlo y déposa son fardeau.
    — Ça sent le bouc ! Crois-tu que c’est une femme ?
    — Tiens, regarde, dit Pernette en écartant la
houppelande raidie par la crasse.
    Le menton sur la poitrine, ses longs cheveux emmêlés
dissimulant ses traits, la femme demeura immobile.
    — Montre voir ton museau, ma belle, dit Lazlo en lui
passant la main sous le menton pour lui relever la tête sans ménagement.
    C’est alors que Pernette connut sa seconde émotion violente
de la journée en voyant Lazlo, en proie à une agitation soudaine, prendre avec
tendresse dans ses deux énormes mains le visage de la femme et lui parler avec
véhémence dans la langue inintelligible de son pays.
    La femme ouvrit les yeux et, suffoquant de surprise, jeta
sauvagement ses bras autour du cou du Tsigane, l’embrassant avec des cris
rauques, des jets de syllabes gutturales entrecoupés de gémissements, de
sanglots, de ululements, de quoi réveiller toute la maisonnée.
    — Mon Dieu, quelle affaire ! Mais… tu la connais ?
empêche-la de crier, cette folle ! dit Pernette, qui commençait à
regretter sa

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