Sachso
sans doute par le froid de la nuit.
« Ils m’installent devant un grand feu de bois, me font ingurgiter un bon chocolat fumant, et je sombre à nouveau. »
L’odyssée de Marcel Houdart prend un nouveau cours :
« Le matin du 3 mai, ne pouvant recevoir les soins appropriés au Stalag, on réquisitionne deux gradés allemands, au volant d’un camion, pour m’emmener à l’hôpital de Schwerin. Ces deux-là n’ont pas l’air heureux de ma présence. Je dégage une odeur pestilentielle et l’exiguïté de la cabine doit la leur rendre encore plus insupportable. Si bien qu’au bout de deux kilomètres, dans la cohue des véhicules qui encombrent la chaussée, ils me plantent là et s’en vont à pied.
« Pendant ce court trajet, j’ai le temps de reconnaître, à sa couronne de cheveux roux, Noël Lenoir, de Locon (Pas-de-Calais), se lavant dans un pré. Mais, maintenant, j’ai un autre sujet de préoccupation.
« D’un groupe d’Américains contrôlant la circulation, un soldat se détache vers mon camion qui bloque le trafic. Il grimpe au volant. Il me jette un bref coup d’œil, braque le véhicule dans le fossé… et retourne à ses contrôles.
« Le temps s’écoule… Je ne sens plus que mes yeux vivre… Un bruit à l’arrière : deux pillards habillés de vert, fouillent le camion, puis la cabine. Pas un geste pour moi. La paire de jumelles restée au tableau de bord les intéresse beaucoup plus.
« Je suis à nouveau seul. Puis deux hommes viennent encore fouiller. Ceux-là sont des Italiens qui, voyant mon état, essaient de me sauver. Ils ont une charrette à deux roues. Ils m’allongent sur le plateau, et en route !
« Les cahots, dus aux pavés, me font beaucoup souffrir. Nous sommes dans Schwerin et arrivons dans la cour de l’hôpital où les blessés allemands valides sont justement rassemblés.
« Mes deux sauveteurs interpellent des gens en blouse blanche. Tous paraissent débordés. De guerre lasse, les Italiens m’abandonnent à leur tour, dans un couloir de l’hôpital, sur un brancard.
« Le temps me paraît long, long… Des “blouses blanches” passent, sans un regard. Je retrouve un peu de voix et je récite une litanie : “ Ich bin Franzose, ich bin krank” (« Je suis Français, je suis malade »). Enfin, un jeune homme m’examine, me débarrasse de mes loques souillées et m’installe dans une chambre, sur une table. Je peux alors constater mon extrême maigreur, ma jambe bleuie qui me brûle. Je reçois quelques piqûres qui me calment…
« Tard dans la soirée, une voiture m’emmène à l’hôpital de Saxenberg, dans la campagne proche où je me retrouve près d’un Français, Guy Lehac, de Paris… »
Ce jour-là, quand Charles Bachelier franchit à 16 heures le pont de Schwerin, on veut le diriger aussi sur l’hôpital. Il refuse et, tant bien que mal, parvient une heure après à la caserne Adolf-Hitler.
Pendant que les Américains prennent position à Schwerin, les Russes progressent sur l’axe Parchim-Crivitz et rattrapent les unes après les autres les colonnes des évacués de Sachsenhausen, celle de Marcel Boulanger, des Ardennes, comme celle de Marcel Couradeau, de Châtellerault.
Marcel Couradeau s’est endormi le soir du 1 er mai avec Lecointre et les autres Châtelleraudais à l’orée d’un bois, après Parchim : « Le 2 mai, à l’aurore, nous nous levons, transis. Plus un seul S. S. Ils se sont enfuis durant la nuit. Prudemment, nous faisons une reconnaissance aux alentours, ils sont bien partis. On se regarde en tremblant, on rit, on pleure, on s’embrasse.
« À proximité s’élève une ferme avec un magnifique silo à pommes de terre. Quelle galopade pour s’approvisionner ! Partout des feux s’allument. L’eau bout à peine dans notre gamelle pleine de patates. Lecointre me regarde. On se comprend. Nous les avalons à moitié cuites, puis nous remettons la gamelle sur le feu. Cette fois, nous prenons même le temps d’éplucher les tubercules. C’est notre premier geste de civilisés, notre premier repas d’hommes libres.
« Vers neuf heures, une jeep paraît. Un officier soviétique en descend. Il nous distribue cigares et cigarettes et, par signes, nous fait comprendre d’aller vers le prochain village… »
Il est 17 heures le 2 mai quand les S. S., sentant les Russes sur leurs talons, font descendre la colonne de Roger Robert en bas d’un talus de la route
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