Sachso
supplice ?
Pourquoi des êtres affreusement maigres, encore en rayé, le geste saccadé, le regard fixe, s’affairent-ils à pousser des charrettes ? En dépit des cris et des coups de leurs gardiens, ils jettent, à la dérobée, un regard hébété sur les nouveaux. Ceux-ci s’aperçoivent avec horreur que les charrois sont constitués de cadavres décharnés, entassés pêle-mêle…
Ainsi, le voile se déchire peu à peu. L’évidence s’impose à l’esprit : « C’est bien dans un véritable bagne que nous allons vivre maintenant. »
La lamentable cohorte s’avance par à-coups, happée par l’engrenage de l’accueil. Alex Le Bihan, comme tous ses compagnons de transport, a déposé ses bagages, à droite, en entrant au camp : « Nous sommes maintenant groupés à gauche, n’ayant conservé que musettes ou petits sacs contenant quelques vivres et objets de toilette. Un homme lit les noms notés sur les bagages. Nous nous présentons avec plus ou moins de bonheur, car la prononciation allemande est mal perçue par des oreilles françaises. Malheur à celui qui n’est pas assez prompt, car les coups pleuvent. Pour n’avoir pas compris qu’à Gouérine, entendu comme Goëring, correspondait le nom de Guérin, notre ami Roger est gratifié d’une magistrale paire de gifles. »
Le 25 janvier 1943, il est 6 heures du matin quand Couradeau et ses compagnons, tremblants de froid et de peur reçoivent l’ordre de se déshabiller : « Les coups pleuvent, les habits sont jetés au hasard, les valises et colis abandonnés.
Le froid cingle autant que les horions. Nous claquons des dents. Une porte, enfin, s’ouvre ; nous pénétrons dans un baraquement inondé de lumière. Regarde de tous tes yeux, regarde, camarade. Et ce n’est qu’un début. Tu n’es déjà plus un homme ; dans quelques instants, tu ne seras plus qu’un numéro, un Stück (une pièce, un morceau). »
Le personnel de ce singulier bureau, la Politische Abteilung (section politique), est composé de détenus de diverses nationalités, tous polyglottes. Hormis la présence des S. S., les vociférations, les coups, certains pourraient se croire à quelque conseil de révision de sous-préfecture.
Happés comme par un tapis roulant, les Zugänge (entrants) sont ballottés vers les secrétaires, pour l’interrogatoire. Machines à écrire, papier sont en place pour enregistrer les déclarations. Chacun se sent gagné par la méfiance lorsqu’il s’agit de décliner les motifs de son arrestation.
D’autant plus que quelques bureaucrates ne sont pas désintéressés et ne dissimulent pas leur convoitise pour les vivres encore aux mains des Français.
Pasdeloup est de ceux qui se laissent attendrir : « Nous leur donnons un peu de tout. Tant pis ! D’ailleurs, le reste sera volé après.
« J’ai le matricule 59 206, Vatant 59 207 et Briard 59 208. Nous sortons et une demi-heure après nous entrons dans une autre pièce. Ici, c’est le dépouillement systématique de tous les vêtements, bijoux, montres, alliances. Pour retirer mon alliance et une bague fabriquée à Compiègne, je dois me mouiller les doigts. Une seule bague étant portée sur la fiche, alors que les deux ont été déposées dans une enveloppe, je veux en faire la remarque. En réponse, je reçois un coup de botte du S. S. le plus proche. Les vêtements sont enfournés dans des sacs, de même que souliers, portefeuilles, porte-monnaie. Le matricule, inscrit au crayon bleu sur valises et sacs, devient le dérisoire lien entre ces chers objets et leur propriétaire qui n’a même plus conservé son nom. »
Couradeau comprend pourquoi tout a été laissé aux détenus, à leur départ de France : « Sadiques sans aucun doute mais pas fous, impitoyables mais supérieurement organisés, les bandits du Grand Reich sont passés maîtres dans l’art de la récupération. »
Cependant, dehors, des groupes attendent, vêtus ou tout nus, selon le zèle ou l’humeur du « comité d’accueil » et la consigne reçue. Le chaud et le froid alternent ; aux périodes d’accalmie succèdent les hurlements et les coups sans qu’on en connaisse la raison.
Une poussée brutale projette dans une autre salle les entrants munis du papier sur lequel est inscrit leur matricule.
Nus comme des vers, veillant aux musettes pendues à leur cou, quelques-uns avaient encore une ceinture autour du ventre, ils affrontent le coiffeur amateur. Plus un
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