Sachso
cours.
André Boudin, mort de fatigue, n’a pas encore le droit d’entrer dans son block, le 17 : « Le chef de block nous parle. Que peut-il bien dire, cet homme si gras à des détenus si maigres ? Des interprètes traduisent enfin. Les maîtres-mots sont travail et discipline. “Ici, dit-il, il y a deux moyens de sortir : la porte qui ne s’ouvre jamais et la cheminée du crématoire que vous voyez là-bas et qui, elle, fume toujours. Vous, les Français, vous manquez de discipline, notre mission est de vous rééduquer. Ce camp il y a quelques mois était un enfer, il est devenu un paradis grâce à nos camarades qui travaillent dans les kommandos.”
« Puis on demande des travailleurs. Personne ne répond. Ceux qui savent tirer l’aiguille. Personne ne bouge. Nous sommes désignés à cinq pour coudre les matricules sur les tenues. »
Dans tous les discours d’accueil, deux mots reviennent, qui n’ont pas besoin d’être traduits ; sanatorium et crématorium ; partout leur répétition obsédante donne son vrai sens au « paradis » du chef du block 17 : « Ici, ce n’est pas un sanatorium ; ce qui vous attend, c’est le crématorium. »
Quel que soit l’instant où est franchie la porte des baraques de quarantaine, la prise de contact est rude. Pour André Augeray, c’est l’heure de la soupe : « Nous avons une gamelle pour trois. On y sert une ration à la fois, chacun doit la boire à toute vitesse en s’étouffant, en se brûlant. Le liquide dégouline sur nos vêtements, il faut faire vite, le second attend, puis le troisième… » Pour le docteur Leboucher, c’est l’heure de dormir : « Dormir ? Il faut vraiment être harassé de fatigue pour dormir. À terre, c’est-à-dire sur le ciment, sont placées des paillasses qui se touchent. Cinq hommes pour deux paillasses, de sorte que l’un de nous couche dans le creux formé par le rapprochement desdites paillasses. C’est la place que j’adopte. » Serré comme une sardine entre ses camarades, Georges Cassin se protège la tête : « Le chef de block et le Stubendienst (détenu préposé au service du Block) courent sur nous, nous piétinent pour nous obliger à nous tasser davantage. La nuit, des camarades voulant se rendre aux cabinets renversent des bancs et réveillent le chef de block. Celui-ci s’empresse de nous faire sortir et nous restons un bon moment dehors, par un froid de -15°, avant de reprendre nos places. »
Pour d’autres, c’est l’heure du dernier pillage. Assigné au block 14, Pasdeloup n’a pas le temps de souffler : « Le chef de block et ses sbires, tous bandits associés, nous pressent de leur donner les quelques vivres et le peu de tabac que nous avons pu sauver de la razzia de l’arrivée.
« Devant notre résistance, un Yougoslave à triangle vert nous transmet un prétendu ordre de l’adjudant S. S. : « Vous allez remettre ce que vous avez (bon nombre n’ont rien) ; la répartition sera faite par l’adjudant lui-même. »
« Pour les besoins de ce simulacre de partage, deux camarades sont désignés, Aristide Pouilloux et André Quipourt, lesquels ne tardent pas à se récuser, tant sont claires les intentions de vol des malandrins qui continuent à trier nos “trésors” et à se servir. Subitement : « Alle raus, schnell ! » (Tous dehors, vite !) et l’ordre est assorti de l’interdiction d’emporter quoi que ce soit. Ainsi se trouve consommé le dernier acte de la spoliation. »
Gaston Bernard et ses compagnons sont victimes d’une autre méthode : « Groupés dans des blocks se faisant face, 36-37 et 38-39, on nous recommande de laisser sur place vêtements et vivres que certains ont encore pu conserver, et l’on nous fait changer alternativement de block pendant que disparaissent nos derniers biens. »
Les arrivants du 10 mai 1943 trouvent des châlits au block 38, où Alex Le Bihan est conduit avec René Fayat, Jacques Boone, Robert Rey, Georges Roux, un Belge Marcus, etc. : « Derrière notre block, il s’en trouve un autre, entouré de barbelés. Le soir, enfermés dans le dortoir, nous apercevons ses occupants. Ce sont des Soviétiques affreusement maigres qui nous implorent, réclamant quelque nourriture et un peu de tabac. Par les fenêtres rapidement ouvertes, nous leur lançons quelques-unes de nos dernières cigarettes qu’ils fument avidement, à plusieurs. La détresse se lit sur leurs visages…
« C’est
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