Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
nommé. C’était une vieille connaissance : le lieutenant-colonel Roger Trinquier, un homme des services spéciaux. Trinquier était le frère d’armes de Massu, son conseiller privilégié, son confident. Il allait être plus particulièrement chargé de l’élaboration d’un plan de contre-subversion et du contrôle des populations.
Trinquier et Massu étaient très proches. Ils avaient été nommés sous-lieutenant le même jour, l’un sortant de Saint-Cyr et l’autre de Saint-Maixent. Trinquier était originaire des Basses-Alpes et serait devenu instituteur s’il n’avait découvert sa vocation pendant son service, effectué en qualité d’EOR. h avait l’esprit vif et curieux, et faisait preuve de beaucoup d’imagination dans ses initiatives. Après un passage dans une unité coloniale où le service était ingrat, il avait fait un séjour à la garnison française de Shanghai. L’Asie le passionnait. À la fin de la guerre, il s’était battu en Indochine, dans l’un des premiers bataillons de parachutistes coloniaux. Puis il avait pris avec succès la tête du GCMA, le Groupement de combat mixte aéroporté. Cette unité des forces spéciales était dans la mouvance du SDECE. Sa mission était d’opérer à l’intérieur des lignes du Viêt-minh et de recueillir les informations nécessaires aux opérations aéroportées.
Trinquier avait une faculté d’adaptation hors du commun. Bref, il avait tout pour réussir dans les situations les plus extravagantes. En Algérie, il avait été nommé chef de la base aéroportée de l’Afrique française du Nord, un organisme indépendant installé sur la base aérienne de Blida, chargé des transports et des parachutages avec des missions d’instruction et d’opérations. Cette base supervisait les écoles de saut.
Il se trouvait que je connaissais bien Trinquier, car je l’avais rencontré en Indochine. Après la dissolution de mon bataillon, j’avais en effet été un des premiers à être affectés au GCMA.
Massu avait besoin de deux adjoints. Trinquier pour le renseignement et un autre pour l’action. Le deuxième adjoint devait entretenir un contact permanent avec les services de police, les commandants des régiments et les OR de ces régiments. Massu m’avait donc choisi pour ce poste, solution judicieuse vu le nombre de gens que je connaissais maintenant. À supposer que l’ordre ne soit pas venu de plus haut, c’était sûrement Godard qui lui avait mis cette idée dans la tête. Et pas par bienveillance. Godard ne voulait pas s’impliquer dans les fonctions préfectorales dont Massu venait d’être chargé et il désapprouvait ouvertement la participation de la division au maintien de l’ordre à Alger. Pour lui, la 10 e DP devait rester prête pour toute intervention extérieure, conformément à sa vocation. Ce qui supposait de garder intact l’état-major de la division, installée à Hydra, dans la banlieue ouest d’Alger. En conséquence, Massu se retrouvait seul.
On se connaissait bien, avec Godard, et on ne s’appréciait guère depuis qu’il m’avait succédé en 1948 à la tête du 11 e Choc que j’avais créé de toutes pièces. Je pourrais même dire qu’il avait intrigué pour me succéder. Cette succession s’était très mal passée. Il voulait me garder comme commandant en second et me promettait une rapide promotion. Mais on ne peut pas être vicaire dans la paroisse où l’on a été curé. Telle fût à peu près ma réponse. En arrivant à Montlouis, en 1946, j’avais réuni trente-cinq anciens des troupes de choc des Forces françaises libres : en apparence, rien que des hurluberlus. Deux ans plus tard, j’avais laissé à Godard une unité d’élite de huit cent cinquante moines-soldats.
Mais son style de militaire caricatural n’était pas du tout le mien. Aussi quatre officiers du service 29 49 qui étaient prêtés au bataillon et qui regrettaient l’esprit que j’avais insufflé à Bagheera 50 – un mélange subtil d’anarchie et de rigueur, de bohème et d’ascèse – avaient-ils claqué la porte à l’arrivée de ce nouveau chef qui ne comprenait pas, par exemple, qu’un ancien des services spéciaux de Sa Majesté ait gardé la coquetterie de se mettre au garde-à-vous à l’anglaise, poings serrés, ni qu’un autre débarque dans la citadelle de Vauban en pétaradant sur une Harley Davidson, drapé dans un sarong laotien, avec une jolie passagère derrière lui. Moi,
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