Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
militaires ne faisaient que remplir leur mission en les combattant. Le terroriste urbain et te fellagha du djebel n’étaient qu’un seul et même adversaire. Je devinais ce raisonnement mais pour rien au monde je n’aurais voulu tremper à nouveau là-dedans, car, à l’évidence, nous allions devoir nous salir les mains.
Désigner deux officiers pour l’état-major de Massu, ce n’était pas leur faire un cadeau, mais les envoyer directement traquer cinq mille terroristes mêlés à la population, avec tous les risques de dérapage que cela supposait. Au bout du compte, les intéressés ne pouvaient espérer, en guise de remerciements, que le désaveu de leur hiérarchie et le mépris général.
— Je crois que je n’aurai pas besoin de réfléchir. Les deux noms sont tout trouvés, fis-je avec un sourire.
Je connaissais en effet une paire de lieutenants, presque homonymes, qui me semblait faire l’affaire : Charbonnier et Arbonnier. Quelques mois plus tôt, tous deux avaient demandé à quitter le régiment. On se doute que, de ce fait, ils étaient mal vus.
Charbonnier, un ancien EOR 48 , trouvait que l’avancement et les décorations étaient trop rares au 1 er RCP. Il avait bien essayé d’intégrer l’ALAT, sans succès, et on venait de le renvoyer chez nous. En raison de sa démarche, il avait été pris en grippe par ses supérieurs, le capitaine Bizard et le commandant Masselot, dit Botéla. L’envoyer faire du maintien de l’ordre, c’était lui jouer une très vilaine farce car rien ne pouvait être plus contraire à ses espérances. Arbonnier, lui, un ancien sous-officier qui se trouvait affecté à la 4 e compagnie, serait ravi de s’échapper, puisqu’il le demandait.
Les deux lieutenants ne comprirent pas où ils allaient mettre les pieds et s’estimèrent heureux de quitter le régiment.
Quelques heures plus tard, Godard rappela. La situation avait évolué. Non seulement Massu voulait deux officiers subalternes, mais voilà qu’il exigeait maintenant un officier supérieur pour lui servir d’adjoint dans le cadre d’un état-major parallèle qu’il mettait également en place. Le problème était que cet officier, c’était moi.
— Massu veut que vous le rejoigniez, me dit Mayer d’un air penaud. C’est Godard qui vient de me le dire.
— Mais pourquoi moi, bordel de Dieu ?
— À cause de Philippeville. Massu a été épaté par le travail que vous avez fait là-bas.
— Vous auriez mieux fait de ne rien lui dire. Vous m’avez mis dans la merde. Godard se défile et il me joue le pire des tours.
— Si je n’avais rien dit à Massu pour Philippeville, il l’aurait su quand même. Et puis arrêtez de m’engueuler ! Les ordres viennent peut-être de plus haut. D’ailleurs, cette mission, ce n’est peut-être pas si mal…
— Pas si mal ? Vous voulez rire ? Vous savez ce qu’on va me demander ? On va me demander de faire tout le sale boulot. Philippeville en pire ! Je ne suis pas né pour nettoyer la Casbah.
— Parce que vous pensez que nous n’allons pas être tous mobilisés ? Godard et l’état-major se défilent. Mais les régiments de la 10 e DP, vous pensez qu’on ne va pas tous les envoyer au charbon ?
— De toute façon je m’en fous. Je n’irai pas ! Je refuse !
— Alors on fait quoi ?
— Envoyez-y donc Pétanque ! Ils se ressemblent, avec Massu. Deux grandes gueules : ils sont faits pour s’entendre. Dites ce que vous voulez à Massu, à Godard, à qui vous voudrez, mais moi je reste ici.
En me voyant dans cet état, Mayer a pris peur. Il a appelé Lafargue qui a accepté de me remplacer. Alors, Prosper a décroché son téléphone pour essayer de convaincre Massu. Mais le général s’est énervé. Il n’était pas du genre à être contrarié trop longtemps, ni à être roulé dans la farine par un subalterne :
— Écoutez, Mayer, ça suffit maintenant ! Vous m’envoyez Aussaresses. Et plus vite que ça ! Compris ?
— Et s’il ne veut pas, mon général ?
— S’il ne veut pas, c’est le même prix.
Indépendamment de l’état-major préfectoral qu’il était en train de constituer à raison de deux officiers par régiment de la 10 e DP, soit une dizaine au total, Massu avait donc jugé utile la création d’un état-major parallèle. Parallèle, pour ne pas dire secret.
Cette équipe devait être composée de deux adjoints de confiance. Le premier était déjà
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