Shogun
souhaiterait poser.
Sire Toranaga était très impatient de voir l’Anjin-san apprendre le japonais
tout comme il était très impatient de tout savoir du monde
extérieur, de la navigation et de la vie de la mer.
Blackthorne avait ensuite été conduit auprès du docteur qui,
à la différence des samouraïs, portait les cheveux coupés au ras du crâne.
Blackthorne détestait les docteurs, mais celui-là était doux et incroyablement
propre. Il le tâta soigneusement, l’ausculta poliment, tint son poignet pour
lui prendre le pouls, lui regarda les yeux, la bouche et les oreilles, lui tapota
les genoux, le dos et la poitrine. Un docteur européen ne
regardait que votre langue et demandait : « Où avez-vous
mal ? » Puis il vous saignait pour expulser toutes les saletés de
votre sang et vous donnait un émétique pour purger vos entrailles. Blackthorne
détestait être purgé et saigné. C’était chaque fois pire que la fois
précédente. Mais ce docteur n’avait pas de scalpel ou de pot à saignement. Il
n’avait même pas cette horrible odeur chimique qui, normalement, entourait les
autres. Son cœur s’était donc mis à battre plus paisiblement. Il s’était un peu
détendu.
Les doigts du docteur touchèrent interrogativement les
cicatrices qu’il avait à la cuisse. Blackthorne imita le bruit du fusil. Une
balle de mousquet avait un jour traversé sa chair. Le docteur dit : « Ah
so desu », et hocha la tête. Il finit par parler à Rako qui acquiesça,
salua et remercia.
« Ichi ban ? avait demandé Blackthorne qui
voulait savoir s’il allait bien.
— Hai, Anjin-san.
— Honto ka ?
— Honto. »
Quel mot utile, honto – « c’est
vrai ? » « Oui, c’est vrai » , pensa
Blackthorne . « Domo, docteur-san.
— Do itamashité », répondit le docteur en saluant.
Il n’y a vraiment pas de quoi. Blackthorne lui rendit son salut. Les filles
l’emmenèrent. Une fois de retour, sur ses nattes épaisses, son kimono de coton
défait et Sono lui caressant le dos, il se
souvint d’avoir été nu chez le docteur devant toutes ces filles et ces
samouraïs et de n’avoir ressenti aucune honte.
« Nan desu ka, Anjin-san ? » lui
demanda Rako. Pourquoi riez-vous ? Ses dents blanches brillaient. Ses
sourcils étaient épilés et dessinés en forme de croissant, ses cheveux noirs
arrangés en un énorme chignon au-dessus de sa tête. Elle portait un kimono rose
à fleurs et un obi gris-vert.
« Parce que je suis heureux, Rako-san. Mais comment
vous le dire ? Comment vous dire que j’ai ri parce que je suis heureux,
que j’ai l’esprit léger et libre pour la première fois depuis mon départ de la
maison. Parce que mon dos se sent bien. Parce que je me
sens totalement bien. Parce que je suis parvenu à avoir l’oreille de Toranaga,
que j’ai mis dans le mille, que j’ai coulé ces maudits Jésuites et ces vérolés
de Portugais. » Il se leva précipitamment, resserra les pans de son kimono
et se mit à danser une hornpipe échevelée en chantant un refrain de
marins. Rako et ses compagnes étaient stupéfaites. Le panneau coulissant
s’ouvrit et les gardes regardèrent le spectacle, aussi ahuris. Blackthorne
dansa et chanta d’une voix tonitruante, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus. Il
éclata alors de r ire et s’effondra. Les filles tapèrent
des mains et Rako tenta de l’imiter, échouant lamentablement parce que les pans
de son kimono la gênaient. Les autres se levèrent et le
persuadèrent de leur montrer comment il s’y prenait. Il essaya. Les filles se
tenaient en ligne devant lui, le regardaient. Elles avaient relevé
leurs kimonos. Mais elles n’y arrivèrent pas.
Les gardes, tout à coup, devinrent solennels et se mirent à
saluer très bas. Toranaga se tenait dans l’encadrement de la porte,
flanqué de Mariko, de Kiri et de ses éternels samouraïs. Toutes les filles
s’agenouillèrent, posèrent leurs mains à plat sur le sol
et saluèrent, mais les rires ne disparurent pas pour autant. La peur ne se
lisait pas sur leurs visages. Blackthorne salua poliment.
« Konnchi wa, Toranaga-sama.
— Konnichi wa, Anjin-san.
— Mon maître demande ce que vous étiez en train de
faire , senhor ?
— Ce n’était qu’une danse, Mariko-san, dit Blackthorne,
se sentant bête. Ça s’appelle une hornpipe. C’est une danse de marins.
Nous chantons des refrains de mer – des chansons – en même
temps. J’étais simplement
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