Thalie et les âmes d'élite
heures de l’après-midi pour la fermer, et ce, tout le temps que durera le chantier.
L’homme comprit alors que cette patronne ne se laisserait voler ni une minute de travail ni le moindre clou. Il la salua d’une inclinaison de la tête et sortit.
Jeanne avait surveillé l’échange en silence. Elle s’approcha pour murmurer :
— Vous avez changé, madame, depuis mon départ de la rue Scott.
— Mais toi aussi. C’est notre lot à tous, n’est-ce pas ?
— Oh ! Chez vous, ça paraît plus que chez d’autres...
La domestique fit un tour complet pour examiner la salle à manger.
— Ces travaux se poursuivront jusqu’à l’hiver ? demanda-telle.
— Je rêve de voir le tout achevé pour Noël. Mais mon notaire affirme que, depuis la construction de la première hutte sur cette terre, jamais un entrepreneur n’a respecté un échéancier. Alors espérons ne pas dépasser la mi-janvier, en ce qui concerne tous les réaménagements intérieurs.
Son seul véritable sujet d’inquiétude était la nouvelle aile devant réunir les deux maisons. Aussi tard dans la saison, la construction de fondations et de murs en brique deviendrait hasardeuse. Mais elle ne pouvait se résoudre à attendre l’été de 1926 pour ces travaux, et perdre ainsi la totalité de la saison touristique.
— Pendant toutes ces semaines, remarqua encore la domestique, les locataires verront leur train-train bouleversé.
— Les députés m’ont assuré être prêts à accepter ces inconvénients pour mes beaux yeux. Si les étudiants protestent un peu trop, je leur consentirai une réduction de loyer.
— Oh ! Ils n’oseront pas. Ce sont vos plus grands admirateurs.
— Nous verrons bien.
Elisabeth se promenait dans la pièce de sa nouvelle acquisition. Elle laissa échapper un soupir. Dans deux mois tout au plus, les salles à manger des maisons de la rue Sainte-Geneviève et de la rue Saint-Denis seraient transformées en petites suites de deux pièces dotées de leur propre salle de bain. Elle-même entendait déménager ses pénates au
rez-de-chaussée
afin
de
se
rapprocher
de
la
réception. Chaque pied carré de ces maisons devait rapporter.
— Retournons de l’autre côté, une longue journée nous attend.
Les deux femmes utilisèrent la porte arrière pour retourner à la pension Sainte-Geneviève. Au cours des prochaines semaines, elles feraient ce trajet plusieurs fois par jour.
*****
La joie d’Amélie illuminait son visage, faisait étinceler ses yeux bleu clair. La veille, David avait appelé à l’appartement de la rue de la Fabrique depuis un téléphone public pour lui confier que les choses tournaient pour le mieux.
Un doigt coincé dans une oreille pour couper le son ambiant de la taverne où il prenait un verre avec des membres de sa famille, l’autre écrasé sous le cornet de bakélite, il hurlait pour être entendu. Dans ces circonstances, impossible de révéler le moindre détail. Tout au plus s’entendirent-ils pour se fixer un rendez-vous le lendemain sur le parvis de la basilique.
*****
— La compagnie Price t’offre un emploi ! répéta-t-elle en posant sa main sur son avant-bras. Je savais bien qu’un homme comme toi ne resterait pas longtemps inactif.
Une nouvelle fois, il eut envie de lui dire que les six derniers mois lui avaient paru une éternité. Mais pourquoi gâcher le plaisir d’une aussi charmante jeune femme ? Son honnêteté l’obligea à apporter une précision :
— Ce travail durera quelques mois seulement, le temps de préparer les plans d’une nouvelle section dans l’usine à papier de La Baie, au sein d’une petite équipe. Mais on m’a laissé entendre que si les choses se passaient bien, je pourrais continuer.
— Bien sûr, ils voudront te garder. Il ne peut pas en aller autrement.
Un tel optimisme confinait à la ferveur religieuse, le jeune homme décida de la croire. Amélie tira alors la manche de son père pour attirer son attention et lui dire :
— David a été recruté par Price !
— ... Oh ! Je vous félicite, jeune homme.
La main tendue et le sourire sur les lèvres témoignaient de sa sincérité. Marie, qui avait aussi entendu, saisit le col de l’heureux ingénieur pour l’attirer vers elle.
— Une aussi bonne nouvelle vaut une bise.
Elle s’exécuta sur une joue bien lisse, fraîchement rasée.
Thalie, de son côté, regardait la jolie blonde avec un sourire en coin. A la fin, elle déclara :
— Devant la
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