Thalie et les âmes d'élite
en fait, sont près de son cœur.
Le garçon prenait le ton d’un prêcheur s’adressant à une fidèle. Son enthousiasme tenait beaucoup à son désir d’oublier sa cruelle condition. Cette façon d’effacer un peu l’inéluctable en valait une autre. Son interlocutrice décida de l’encourager à continuer :
— Parle-moi de la petite voie.
— Tout le monde ne peut pas faire de grandes choses, comme être dévoré par les Iroquois... Vous comprenez ce que je veux dire. Des gestes aussi grands, c’est l’avenue royale vers la sainteté. Pour les petits comme moi, il y a la petite voie: faire des sacrifices tous les jours, comme se priver de sucre dans le gruau ou le thé, marcher jusqu’à l’école au lieu de prendre le tramway, ne pas se complaire dans son lit...
Cela résumait ses conversations avec monseigneur Buteau, les règles de vie destinées à faire disparaître tous les plaisirs quotidiens.
— En renonçant à tout cela, je rejette ma volonté afin que celle du Seigneur se substitue à la mienne.
Pendant le long silence qui suivit, la jeune femme feuilleta Histoire d'une âme. Une photographie prise à l’infirmerie du cloître, tout de suite après sa mort, montrait une femme encore jeune, un sourire extatique sur les lèvres, une couronne de fleurs sur la tête. Cette façon de mettre en scène un cadavre lui parut sinistre. Elle avait suffisamment vu de corps sans vie pour ne pas trop s’émouvoir du sourire. Les cadavres prenaient parfois des postures étonnantes.
Une image pieuse marquait une page. Elle représentait la sainte dans son habit de carmélite, un crucifix et des fleurs dans les mains, les yeux tournés vers le ciel. Dans la marge, un trait de crayon attirait l’attention sur une ligne.
— «Je veux chercher le moyen d’aller au ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle », lut-elle à mi-voix.
— Et moi, je veux marcher derrière cette nouvelle sainte, murmura le garçon. Je veux mettre mes pas dans les siens pour m’approcher de Jésus. Si vous saviez comme je l’aime.
Si Thalie se sentait un peu mal à l’aise de recevoir une telle confession, elle ne croyait pas du tout qu’un prêtre fût plus indiqué dans les circonstances.
— Tu utilises beaucoup le terme «aimer». Je me demande toutefois ce que tu veux dire par ce mot.
— Je veux m’abandonner à Lui, me donner à Lui, ne plus m’appartenir. Qu’Il fasse ce qu’il veut de moi.
Le ton s’exaltait un peu, les yeux ne quittaient pas le crucifix pendu au mur, un corps efflanqué totalement nu, excepté la pièce de tissu autour des reins. Les mots rappelaient ceux des religieuses, qui se disaient les épouses du Christ.
— Je veux devenir son jouet. Oh ! Etre la balle du petit Jésus, quel bonheur! Quoi qu’il m’arrive, qu’importe, ce sera Lui qui le voudra, ce sera bien. Je n’ai pas à me plaindre, je n’ai qu’à Le remercier.
A la nuit tombée, dans cette chambre modeste faiblement éclairée par une petite lumière électrique, Raymond Lavallée retrouvait sa ferveur, sa conviction d’abandonner sa volonté pour se soumettre totalement à celle de Dieu. Si la mort venait, ce serait pour le mieux: il Le rejoindrait enfin.
Le médecin choisit de ne pas vérifier la solidité de cette conviction. Chacun cherchait au plus profond de lui les moyens de faire face à une fin inéluctable. La religion n’était ni le moins fréquent ni le moins efficace de ceux-ci. Après un long silence où elle somnola, la voix près d’elle la fit sursauter :
— Je veux être un jouet dans les mains de Jésus, mais plus qu’un simple objet. Je veux être un jouet aimé et aimant.
Ella se demanda si le garçon saisissait toute l’ambiguïté de ses paroles. Il avait détaché ses yeux du crucifix pour la regarder, un peu intimidé par l’audace d’une confidence aussi intime, en même temps heureux de la formuler à haute voix.
De nouveau, il mesurait combien cette jeune femme au visage plein de compassion savait l’écouter avec sympathie, peut-être troublée par ses paroles, mais résolue à ne formuler ni critique, ni reproche, ni condamnation.
— Dès notre première rencontre, tu m’as dit vouloir devenir prêtre, glissa-t-elle. Ce désir a-t-il toujours été le même ?
— Parfois, il a changé de forme. En entendant tous les sermons sur nos saints martyrs canadiens, j’ai commencé l’été dernier à me rendre chez les pères
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