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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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C'était la patte n° 3 qui était celle de Tourguéniev. Chacun des occupants devait, pendant l'entr'acte, raconter une histoire à M me Viardot. On imagine qu'à ce jeu Tourguéniev l'emportait aisément sur le général, sur le comte et sur le fils du directeur.
    La passion de Tourguéniev pour M me Viardot fut bientôt connue de Pétersbourg. Il en parlait à tout le monde et les applaudissements de ce géant dérangeaient, chaque soir, le public par leur violence. L'été suivant, il fit pour la première fois un voyage en France, pour rendre visite à M me Viardot, en son château de Courtavenel. Là il devint l'ami du mari, Louis Viardot, et des enfants. Il est difficile de savoir s'il fut ou non l'amant de M me Viardot 12 . Louis Viardot n'était certainement pas un mari complaisant. Mais il pouvait ignorer la vérité. En tout cas, amour ou amitié, à partir de ce moment cette passion remplit la vie de Tourguéniev. Comme l'année suivante Pauline ne devait pas retourner à Pétersbourg, mais aller à Berlin, il s'y rendit. Puis il la suivit à Dresde et revint encore avec elle à Courtavenel.
    Le château est dans la Brie, à soixante kilomètres de Paris. Tourguéniev y trouvait la femme qu'il aimait, de la bonne musique, du gibier. Il y passa tout l'été. C'était une situation fort étrange aux yeux d'un Français, moins peut-être aux yeux d'un Russe, venu d'un paysoù une hospitalité sans limites est de tradition et où, dans de nombreuses familles, on trouvait alors des étrangers familiers installés au foyer, comme adoptés. Quand l'hiver ramena, pour les Viardot, le temps des tournées, Tourguéniev trouva à Paris une chambre près du Palais-Royal et alla chaque jour voir la mère de Pauline, M me Garcia, qu'il appelait Maman.
    Rien au monde n'existait plus pour lui que Pauline, la famille de Pauline, la carrière de Pauline. Chaque jour il lui écrivait de longues lettres sur toutes choses. Il dirigeait ses lectures, lui parlait « de son esprit si droit, si simple, si sérieux, dans sa finesse et sa grâce... ». Il lui décrivait ses promenades aux Tuileries : « J'y regarde jouer une foule d'enfants... Leurs caresses gravement enfantines, leurs petites joues roses mordillées par les premiers froids de l'hiver, l'air placide et bon des bonnes, le beau soleil rouge à travers les grands marronniers, les statues, les eaux dormantes, la majestueuse couleur gris sombre des Tuileries, tout cela me plaît infiniment, me repose et me rafraîchit après une matinée de travail... Vous souvenez-vous du jour où nous regardions le ciel si pur à travers les feuilles dorées des trembles?... » « Je mène ici une vie qui me plaît : toute la matinée, je travaille; à deux heures je sors, je vais chez Maman où je reste une demi-heure, puis je lis les journaux, je me promène; après dîner, je vais au théâtre ou je retourne chez Maman; et puis je me couche, et voilà... » Surtout il lui donnait sur son art les conseils les plus intelligents. Si elle devait chanter Iphigénie, il lui conseillait de lire Goethe et pensait que, bien qu'elle fût du Midi, elle incarnerait parfaitement cette figure d'une simplicité antique, chaste et calme. « Iphigénie elle-même n'était pas une fille du Nord. Un poisson n'a pas de mérite à rester calme. »
    Quand Pauline était loin, le plus grand plaisir de Tourguéniev était de lire dans les journaux le récit des succès de son amie. Un jour, comme il était seul à Courtavenel, tandis que les Viardot voyageaient en Angleterre, une tante de Pauline, à laquelle il avoua qu'il n'avait pas un sou, lui fit cadeau de trente francs. Il s'en servit pour aller à Paris lire dans les journaux anglais le compte rendu du concert de Pauline à Londres. Au château, on commençait à le juger un peu encombrant, mais Tourguéniev ne comprenait pas : « Qu'est-ce qu'il a donc, Viardot? écrivit-il à Pauline. Est-ce qu'il est ennuyé de mon séjour ici?... Je suis assis misérablement, comme un chien qui sent qu'on se moque de lui et qui regarde vaguement du coin de ses yeux, clignant des paupières quand il est ébloui par le soleil. »
    ***
    Pendant ce long séjour en France, de 1847 à 1850, Tourguéniev travailla beaucoup. Avant son départ de Russie, il avait publié dans une revue un petit récit intitulé : le Putois et Kalinytch. C'était une simple conversation de deux paysans, mais elle avait frappé tous les lecteurs par sa vérité. En ces moujiks que tant

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