Toute l’histoire du monde
décomposé.
Quant au peuple français, il était parti vers le sud ou vers l’ouest, pour fuir les envahisseurs. Cet exode, l’un des plus considérables de l’histoire, jeta sur les routes 15 millions de personnes, enfants, femmes enceintes, vieillards, dans des encombrements inextricables (vingt fois le Kosovo). Des images de malheur avec les fameux Stukas, avions allemands munis de sirène pour terroriser, qui mitraillaient la foule sur les routes.
Extraordinaire écroulement, cet « exode » prouve au moins que les Français du peuple détestaient les nazis : en juin 1944, au contraire, ils restèrent dans leurs maisons, malgré d’horribles et inutiles bombardements alliés, pour attendre les libérateurs. Les dernières élections avaient d’ailleurs porté au pouvoir le Front populaire.
Le 17 juin, tout s’arrêta. Paul Reynaud, dépassé, donna sa démission. Ce n’était pas un caractère fait pour la tempête. Le président de la République désigna pour lui succéder un illustre vieillard de quatre-vingt-quatre ans qui demanda immédiatement l’armistice – alors que de nombreuses autres possibilités existaient. La République française disparut dans la tourmente.
Le 10 juillet 1940, dans la ville d’eaux de Vichy, les parlementaires, réunis tant bien que mal, votèrent « les pleins pouvoirs au maréchal Pétain ». Dès le lendemain, Pétain, outrepassant son mandat, supprimait la République par trois actes constitutionnels et nommait Pierre Laval président du Conseil. Le président Lebrun se retira à Vizille. De Gaulle était à Londres, prétextant une vague mission ; dès le 18 juin, il entra en dissidence.
Dans deux discours prononcés presque en même temps, le vieux maréchal et le jeune général tirèrent du désastre une leçon diamétralement opposée.
Le Maréchal n’avait rien compris à ce qu’était le nazisme. Il se croyait encore en face de Bismarck. Il lui fallait cesser le combat, comme l’avait fait Thiers en 1870, et, le cas échéant, écraser la Commune. Beaucoup de dirigeants, d’ailleurs, n’avaient pas pris la mesure ou plutôt la démesure d’Hitler (en Angleterre aussi, jusqu’à Churchill).
Les discours de De Gaulle et de Pétain s’opposent point par point. Les deux hommes s’exprimèrent à la radio (qui pour le Général était le seul moyen de communication possible) : Pétain, depuis Vichy ; de Gaulle, depuis Londres où Churchill avait eu le culot de l’inviter à la BBC.
Pétain accusa le peuple français, reprenant sans le savoir les arguments de Céline qu’il n’avait pas lu (il ne lisait rien et on lui écrivait ses discours), d’avoir trop joui et mal combattu. Il ne s’adressa pas aux Français comme à des adultes, mais comme à des petits enfants qu’on morigène et promet de protéger. Le vieil homme était d’autant plus crédible qu’il était le plus haut gradé de l’armée, couvert de gloire, et disait se sacrifier : « Je fais à la France le don de ma personne pour apaiser ses malheurs. » Mais tout aussitôt il se transforma en père sévère et fit la leçon aux Français.
Or c’était lui, chef d’état-major des armées et maître tout-puissant de leur stratégie, qui était le grand responsable de la défaite, ayant obstinément refusé de constituer des divisions blindées et ayant promu ou fait promouvoir des incapables à tous les hauts postes.
En réalité, ce maréchal prestigieux n’aurait jamais dû dépasser le niveau qu’il avait atteint avant 1914 et auquel il devait prendre sa retraite : celui de père du régiment (colonel), paternaliste et bougon, brave au feu mais assez bête – qualités/défauts qui convenaient pour rassurer une armée inquiète en 1917, mais qui l’empêchèrent en 1940 de comprendre quoi que ce soit.
De Gaulle, au contraire, accusa les chefs. Il dit aux Français que des chefs incapables les avaient conduits au désastre. À la différence de Pétain, il comprenait l’enjeu de cette guerre. Celle-ci était idéologique et planétaire. « Elle n’est pas tranchée par la bataille de France. Il y a dans l’univers des moyens pour écraser nos ennemis. Foudroyés par la force mécanique, nous pouvons vaincre par une force mécanique supérieure. » Il en déduisait le devoir de lutter : « La flamme de la Résistance française [la fortune du mot "Résistance" vient de lui] ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »
Le 26 juin, à une
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