Toute l’histoire du monde
nouvelle admonestation de Pétain justifiant l’armistice, il lança au vieux chef cette algarade : « La défaite ! À qui la faute, monsieur le Maréchal ? Vous qui étiez la plus haute personnalité militaire, avez-vous jamais soutenu, demandé, exigé, la réforme indispensable de ce système mauvais ? Ah ! pour signer cet armistice d’asservissement, on n’avait pas besoin du vainqueur de Verdun. N’importe qui aurait suffi ! »
Et comme Pétain prêchait la soumission, il expliqua que la France « ne se relèvera pas sous la botte allemande. Elle se relèvera dans la victoire ».
Le Maréchal et le Générai s’étaient rencontrés dans un restaurant de Bordeaux quelques jours plus tôt. De Gaulle raconte la scène dans ses Mémoires . Il va saluer Pétain : « Je suis convaincu qu’en d’autres temps le Maréchal aurait repris le combat… Mais l’âge par-dessous l’enveloppe avait rongé le caractère. La vieillesse est un naufrage et, pour que rien ne nous fût épargné, il fallait que la vieillesse de Pétain s’identifie avec la défaite de la France. »
Les appels radio du Général ne furent entendus que de quelques milliers de personnes, l’habitude ne s’étant pas encore prise d’écouter la BBC.
En France régnait le terrible chaos de l’exode. Le pays tout entier s’était défait. Les familles séparées se cherchaient à tâtons. La pagaille et la mort faisaient bon ménage. Il fallait le sang-froid et l’esprit prophétique du Général pour voir au-delà de cette « chienlit » – mot qu’il emploiera en 1968, mais qui décrit mieux encore la situation de 1940.
Le parti communiste, qui aurait pu maîtriser l’anarchie, avait été anéanti, mentalement, par le pacte germano-soviétique et prêchait lui aussi la soumission. Les pacifistes, comme Céline, criaient : « On vous l’avait bien dit ! »
Les notables avaient un peu honte d’avoir abandonné leurs postes dans la débâcle, mais ils se trouvaient justifiés par les paroles de Pétain. De plus, ils craignaient davantage les communistes que les nazis. Vérité indicible : beaucoup d’entre eux admiraient en secret les Allemands : ceux-ci étaient grands, blonds, beaux, forts, organisés, korrekt. Il y a une part de masochisme chez les victimes par rapport à leurs bourreaux (le syndrome de Stockholm). Quant aux monarchistes de l’Action française, peu nombreux mais influents, la défaite fut pour eux, comme l’avouera leur gourou Maurras, « une divine surprise ».
Tous ces généraux vaincus, tel Huntziger, tous ces amiraux qui avaient laissé leurs bateaux au port, tous ces notables qui avaient fui leurs postes se retrouvèrent à Vichy sans honte ni vergogne dans les entourages ou gouvernements du Maréchal. Ils instillèrent alors dans l’esprit des simples citoyens l’idée qu’ils s’étaient montrés lâches, qu’ils n’avaient que ce qu’ils méritaient par leur comportement (les congés payés, les tandems, les vacances, les votes Front populaire).
Or, les faits disent obstinément le contraire du discours culpabilisant des élites : en juin 1940, c’est la classe dirigeante (à part quelques exceptions) qui fit faillite, et non pas le peuple dont le courage et la dignité dans l’épreuve furent grands.
Le mépris du peuple est toujours la tentation et l’excuse des dirigeants défaillants.
Le pari de la France libre
En juin 1940, y avait-il un autre choix que l’armistice ?
Certainement, et dans cette affaire la responsabilité du président du Conseil Paul Reynaud fut écrasante. Certes, il avait commis la faute d’appeler au cabinet le maréchal Pétain, jusque-là ambassadeur auprès de Franco, dont le défaitisme était notoire. Mais il y faisait aussi entrer de Gaulle. Son ministre de l’Intérieur, Georges Mandel, était le contraire d’un capitulard. Reynaud aurait pu transporter le siège de la République en Algérie, alors partie intégrante du territoire métropolitain.
L’Assemblée nationale, le Sénat, Lebrun à Alger ; la flotte de combat, la meilleure que la France ait jamais eue (si l’amiral Darlan ne savait pas se battre, il avait su faire construire une flotte ultra-moderne) quittant Brest et Toulon pour Mers el-Kébir, Dakar et Bizerte ; les grandes écoles repliées en Afrique du Nord ; l’aviation sauvée (les aviateurs allèrent d’eux-mêmes en Algérie et au Maroc ; c’est Vichy qui les en fit revenir) ; quelques
Weitere Kostenlose Bücher