Toute l’histoire du monde
sans jamais trahir un secret, lui qui les connaît tous… Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique et les combats d’Alsace, entre ici [au Panthéon], Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de "Nuit et Brouillard" » enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle, nos frères dans l’ordre de la nuit. »
De Gaulle combattait les Allemands, mais il devait aussi s’imposer aux Alliés. Nous savons qu’avec Churchill les rapports furent orageux, mais marqués d’admiration réciproque. Churchill disait du chef de la France libre : « C’est un grand animal. » Roosevelt, puritain démocrate qui pensait, depuis juin 1940, que la France était finie, ne pouvait comprendre de Gaulle, cette espèce de Cyrano à panache.
Après le débarquement américain en Afrique du Nord française, le président américain osa un moment s’allier avec Darlan, l’amiral de Vichy ; puis, après son assassinat par un jeune patriote (si l’on pouvait justifier l’assassinat politique, il faudrait montrer de l’indulgence pour ce Bonnier de La Chapelle), Roosevelt poussa Giraud, un général brave et bête, mais servile envers les Américains. De Gaulle triompha sans peine de cette ganache. La République française renaissait en 1943 à Alger. Le Général imposa l’armée française reconstituée dans la bataille finale. En Provence, l’armée d’Afrique débarqua – cas unique d’indigènes coloniaux (mêlés à des évadés de France et à des pieds-noirs) venant libérer leur métropole. En Normandie, il lança le général Leclerc, l’ancien capitaine du Tchad, et sa fougueuse 2 e DB vers Paris.
De Gaulle essaya aussi de contrôler les insurrections de la Résistance, parfois écrasées dans le sang par les Allemands, comme au Vercors en juillet 1944. Partout, les « commissaires de la République » remplaçaient les préfets de Vichy. Les Allemands ayant emmené le Maré-chai chez eux à Sigmaringen – une ville d’eaux, mais de Forêt-Noire -, Paris se souleva. (Au même moment, Varsovie insurgée était rasée par les Allemands.) C’était un coup d’audace inouï. Il réussit. Le 24 août 1944, le peloton blindé du capitaine Dronne (dont beaucoup de soldats étaient d’anciens républicains espagnols ; aussi appelait-on sa compagnie la « Nueve ») parvint devant l’Hôtel de Ville, occupé par le Conseil national de la Résistance.
Le 25 août, après avoir retrouvé son bureau du ministère de la Guerre quitté quatre ans plus tôt, de Gaulle, bousculé par la foule, poussait son célèbre cri : « Paris outragé, Paris brisé, Paris humilié, mais Paris libéré… » Le 26, à la tête d’une foule anarchique, enthousiaste, immense, il descendait les Champs-Élysées. Heure de gloire, coup de bluff : les Allemands étaient encore au Bourget.
À Berlin, le général de Lattre de Tassigny signa la capitulation nazie aux côtés des Russes, des Américains et des Anglais. Pénétrant dans la salle, le plénipotentiaire allemand ne put se retenir de s’écrier : « Quoi ? Les Français aussi ! »
De Gaulle et la France, malgré Vichy, avaient gagné.
Militairement, la « France libre » (tout de même troisième puissance militaire de l’alliance occidentale, après les Américains et les Anglais : un million de soldats ; plus de 100000 résistants insurgés, dont beaucoup seront amalgamés dans l’armée) n’a pas joué, comme l’avait fait la France de 14, le rôle principal. Mais sans la France libre, l’honneur de la nation eût été compromis. Ce fut une folle épopée. Laissons le mot de la fin à Leclerc. Comme de Gaulle lui écrivait en janvier 1945 : « Tout ce qui est exagéré est insignifiant », Leclerc lui répondit : « Ce n’est pas mon avis. Tout ce que nous avons fait de grand et d’utile, derrière vous, était "exagéré et déraisonnable". »
La Grande Guerre mondiale
Le conflit de 39-45, nous l’avons dit, fut en fait la
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