Toute l’histoire du monde
d’admettre que tout était perdu, il demanda l’hospitalité aux Anglais et se réfugia sur un de leurs bateaux. Les Anglais eurent la bassesse de l’envoyer pourrir, au large de l’Afrique, dans la petite île malsaine de Sainte-Hélène, où il mourut en 1821 (probablement de paludisme). Louis XVIII était revenu à Paris. Sainte-Hélène ajouta à la gloire militaire et civile de Napoléon celle du martyre : Bonaparte mort de vieillesse en Amérique, la légende eût été moins complète. Notons que le 18 juin est une date spéciale pour la France : 18 juin 1429, Jeanne d’Arc ; 18 juin 1815, Waterloo ; 18 juin 1940, de Gaulle. Voici ce que Chateaubriand écrit sur les Cent-Jours (l’auteur des Mémoires d’outre-tombe était royaliste, mais sensible à la grandeur) :
« Le 1 er mars, à trois heures du matin, Napoléon aborde la côte de France au golfe Juan. Il descend, cueille des violettes et bivouaque sous les oliviers. Il se jette dans les montagnes…
« À Sisteron, vingt hommes auraient pu l’arrêter. Il ne trouve personne. Il s’avance sans obstacle… Dans le vide qui se forme autour de son ombre gigantesque, s’il entre des soldats, ils sont invinciblement attirés par lui… Ses ennemis fascinés ne le voient pas… Les fantômes sanglants d’Arcole, de Marengo, d’Austerlitz, d’Iéna, de Friedland, d’Eylau, de la Moskowa, de Lützen, de Bautzen lui font un cortège d’un million de morts… Lorsque Napoléon passa le Niémen à la tête de quatre cent mille fantassins et de cent mille chevaux pour faire sauter le palais des tsars à Moscou, il fut moins étonnant que lorsque, rompant son ban, jetant ses fers au visage des rois, il vint seul de Cannes à Paris, coucher paisiblement aux Tuileries. »
Qu’ajouter à cela ?
Le plus grand capitaine de l’histoire, « le dieu de la guerre en personne », a été aussi un homme d’État avisé, celui du Code civil. Il fut un « communicant » génial (sans avoir besoin de conseil en communication) qui imposa son immortel « logo » : au milieu des maréchaux chamarrés, aux uniformes étincelants (Ney, Murât), un petit homme en redingote grise, sans insigne (à l’exception de la Légion d’honneur qu’il a créée), avec son célèbre chapeau. Wellington disait : « Ce chapeau vaut cent mille hommes. »
Il est ridicule de comparer Napoléon à Hitler, même s’ils dominèrent pareillement l’Europe. Napoléon n’était pas un fanatique raciste, c’était un homme des Lumières, Voltaire ou Diderot casqué. Il n’a jamais tué en dehors des nécessités de la guerre (à l’exception du duc d’Enghien) et n’ouvrit pas de camps de concentration. Ses ennemis – Chateaubriand, Madame de Staël -l’admirèrent.
Archétype de la promotion au mérite, icône de la réussite individuelle, Napoléon est profondément moderne. Il exerce une immense fascination.
Malgré des centaines de milliers de morts au combat, les Français ne lui tiennent pas rigueur, puisqu’ils l’ont placé aux Invalides. Grâce à lui, les principes de la Révolution ont survécu et la phase impérialiste de la France fut flamboyante.
La démesure a perdu l’Empereur. Mais, sans un grain de démesure, Bonaparte aurait-il pu devenir Napoléon le Grand ?
Les « répliques » de la Révolution. Les restaurations manquées
Un tremblement de terre majeur, après sa principale secousse destructrice, connaît une succession de « répliques » de moindre intensité.
Ainsi le XIX e siècle fut-il rythmé par les « répliques » de la Grande Révolution. Le siècle commence après Waterloo, au congrès de Vienne ; il finit avec la guerre de 14. À Vienne, réunis en congrès, les vainqueurs de la Révolution – Prussiens, Autrichiens, Russes et Anglais – songeaient à dépecer la France.
Fort heureusement, Talleyrand y représentait le pays vaincu. C’était un personnage étrange et redouté. Il avait traversé et traversera encore tous les régimes : ministre des Affaires étrangères de Bonaparte, il trahit à temps pour devenir celui du roi Bourbon. Victor Hugo écrit de lui : « Il était noble comme Gondi, défroqué comme Fouché, spirituel comme Voltaire et boiteux comme le diable. » À Vienne, Talleyrand sut dresser les rois vainqueurs les uns contre les autres, si bien que la France retrouva, à peu de chose près, les limites qu’elle avait sous Louis XVI, perdant seulement la rive gauche du Rhin et
Weitere Kostenlose Bücher