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Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Titel: Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Filip Muller
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portière et nous dit de descendre. Nous nous assîmes par terre. Nous entendions les hoquets de pompes à moteur. L’eau se répandait par plusieurs tuyaux dans les champs voisins. Derrière le remblai d’argile, il était difficile de reconnaître la fosse dans laquelle nous avions lancé les corps des détenus la nuit précédente.
    Nous échangions des regards anxieux. Les S.S., chaussés de hautes bottes en caoutchouc, s’affairaient autour des pompes, fixant des joints d’étanchéité, déplaçant des tuyaux. D’autres, sur le remblai d’argile, campés, les jambes écartées, se penchaient au bord de la fosse, les mains aux hanches pour observer la baisse des eaux. Ils étaient aussi tranquilles et intéressés que des pompiers ou des pêcheurs vidant un étang. Mais lorsque les moteurs des pompes furent débranchés, de sombres réflexions m’assaillirent. Peut-être allions-nous constituer la couche supérieure des morts de la fameuse fosse. Je fus de nouveau envahi par un sentiment d’angoisse qui me paralysa. Je cherchai des motifs d’apaisement ; je songeai à tous ces hommes éminents qui avaient dû un jour mourir. Je me disais que nul n’échappe à la mort et qu’elle n’est qu’un des aspects de la vie. Ces réflexions me permirent de contenir mon angoisse, à défaut de m’en affranchir. Mais cette souffrance morale me prouva que je possédais encore intacte une tenace volonté de survivre.
    Lorsque les moteurs des pompes cessèrent de fonctionner, des S.S. armés nous conduisirent à la fosse. À la lumière du jour, son aspect nous apparut bien différent de celui qu’elle avait la nuit. Elle était remplie presque à moitié de centaines de cadavres nus. Leurs yeux, gros comme des prunes, étaient exorbités, leurs lèvres tuméfiées et violettes. Cet aspect indescriptible et affreux de la mort me fascinait et m’attirait, comme si j’avais déjà rejoint tous ces défunts. Avant que nous ayons eu le temps de nous familiariser avec cet horrible spectacle, les coups recommencèrent à pleuvoir accompagnés des cris : « Allez ! Au travail dans la fosse, tas de salauds ! Allez ! Dare-dare ! Les corps en tas, au milieu de la fosse ! »
    Sous la menace des coups, nous sautâmes par-dessus la levée de terre et descendîmes au milieu des cadavres. Je glissai dans une boue argileuse où s’enfoncèrent mes galoches dès les premiers pas. Nous devions traîner au milieu de la fosse les corps allongés sur les bords, sous les menaces constantes des S.S. Ils brandissaient leurs revolvers pour mieux nous intimider. Je pataugeai péniblement dans la boue à côté du corps d’une femme. Sa main gluante, que je tirai pour la traîner au milieu, m’échappa et je tombai à plat ventre dans la boue. J’eus toutes les peines du monde à me relever. Je serrai les mâchoires, m’essuyai les yeux et ouvris prudemment les paupières. Mes camarades étaient dans le même état que moi. Deux S.S. se firent descendre dans la fosse le long d’une corde, tandis qu’en haut les chefs de camp Aumeier et Schwarzhuber, ainsi que le chef de lf Gestapo Grabner, couraient dans tous les sens comme des volailles affolées. Ils tenaient des conciliabules en agitant les mains, criaient et proféraient de nouvelles menaces : « Finissez-en, tas de salopards, sans quoi vous allez le sentir passer ! »
    Toutes ces injures les morts ne les entendaient plus. Il leur était parfaitement égal de reposer en haut ou en bas, sur le bord ou dans le milieu de la fosse ; ils ne se souciaient nullement des difficultés que nous avions à cause d’eux, de leurs mains qui glissaient entre les nôtres, du mal que nous avions à jeter leurs pauvres corps humides dans la fange de cette fosse macabre.
    Le niveau de l’eau commença à remonter, transformant la boue en vase liquide qui rendait notre travail encore plus pénible. Deux de nos camarades s’étendirent, épuisés, sur le bord de l’excavation. Ils essayèrent de reprendre souffle et de rassembler leurs forces. L’un d’eux avait une croûte de boue durcie sur le visage. De l’autre côté de la fosse, on entendait les gémissements d’un jeune étudiant originaire de Paris qui avait dû faire un faux pas. Il avait avalé de l’eau bourbeuse, il toussait et semblait sur le point d’étouffer. Les S.S. qui les entouraient essayaient de remettre mes deux camarades au travail : « Allez ! Dare-dare ! Démenez-vous, salauds ! Au

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