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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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respirer durant ton sommeil. Toi, tu m’entendras ronfler. Ton odeur va se coucher dans les draps, puis imprégner les murs et le tapis. Tu sentiras mon parfum qui n’est plus maintenant que l’émanation des lotions, des eaux de toilette et d’une peau qui vieillit. Tu t’en fatigueras peut-être rapidement. Vous le dites souvent, nous dégageons une odeur de cadavre, un parfum de fiole. Nos effluves évoquent les éprouvettes ou les laboratoires. Et puis, Gentille, il me faut du temps. Nous verrons, nous verrons.
    — Tu ne m’aimes pas.
    — Je t’aime déjà trop. Et puis que sais-tu de l’amour, petite fille ? Car c’est bien tout mon malheur. Tu n’es qu’une petite fille.
    — Je ne suis pas une petite fille. J’ai vingt-deux ans et ici, à mon âge, on a vu beaucoup de choses. Et puis tu ne comprends jamais rien parce que tu compliques tout. Tu réfléchis, tu prends des notes. Je le sais, je te regarde sans arrêt depuis que je travaille ici. Tu discutes et tu raisonnes. Quand les autres rient aux éclats, quand ils crient de plaisir, tu souris un peu. Quand tu ris, c’est en silence ou presque. Quand tu te soûles, c’est seul dans ta chambre. Je le sais parce que Zozo sait tout et il me raconte tout, parce qu’il croit que je vais l’aimer quand il deviendra chef des pions. Il ferait n’importe quoi pour moi. Je lui ai posé des centaines de questions sur toi. Même si les filles dorment souvent chez toi, je sais que tu n’as jamais couché avec aucune, sauf avec Agathe. Je sais aussi que tu n’es pas un vrai homme avec elle. J’ai parlé à toutes les filles. Elles pensent que tu les aimes bien, mais que tu les méprises, parce qu’elles s’offrent à toi et que tu ne les prends pas, même gratuitement. Non, je ne connais rien de l’amour des Blancs. Je ne connais que des Blancs qui me regardent avec de gros yeux ronds, comme ceux des tilapias dans les assiettes que je sers, et qui me disent quand je viens leur servir leur deuxième bière : « Tu sais, je pourrais t’aider. On pourrait prendre un verre et en parler. » Les Rwandais au moins, ils y vont tout droit : « T’es belle, tu sais. Tu viens avec moi ce soir ? » Et ils mettent une main sur mon dos ou sur mes fesses. Je dis non et ils continuent à rire et à s’amuser. Le Blanc, lui, il fait le coq insulté. Il perd le sourire et sa manière douce de parler. La troisième bière, il la commande en montrant du doigt la bouteille vide. Et il s’en va sans dire ni merci ni bonsoir. Et le pourboire, aussi bien ne pas en parler. Le lendemain, il fait semblant qu’il ne m’a jamais demandé de coucher avec lui. Quand tu es venu me reconduire chez moi, ce que je voulais te dire, c’est que je t’aimais parce que tu ne m’avais jamais demandé d’aller avec toi. Je sais que je suis belle parce qu’on me le dit depuis que j’ai des seins, depuis que j’ai douze ans. Mais je ne sais pas ce que ça signifie d’être aussi belle. En tout cas, ce n’est pas une bénédiction. C’est un malheur. Sur ma colline, ils ont tous essayé, les oncles, les cousins, les amis des oncles et des cousins. Quelques-uns étaient plus jolis ou gentils, ils me disaient des choses comme dans les films français ou américains qu’on va voir dans les bars où il y a la télévision. Avant de me lancer sur la natte, ils me prenaient la main, comme dans les films. Ça durait quelques secondes. Je me laissais prendre. Ils avaient leur plaisir et partaient en riant et en disant : « Tu es bonne, Gentille. » Et puis les autres, ils ne demandaient pas la permission. Ils le faisaient. Alors, ce que je voulais te dire l’autre soir, c’est que je croyais que je ne te plaisais pas parce que jamais tu ne m’as proposé d’aller avec toi et que, moi, j’en avais envie parce que tu as toujours été poli et gentil, rien d’autre, juste poli et gentil.
    — Et Blanc… et riche.
    Pourquoi ne pouvait-il pas comprendre ce qui lui paraissait si simple à elle ? Bien sûr, elle voulait être aimée comme une Blanche, comme dans les films dans lesquels on ne voyait que des caresses et de longs baisers, des bouquets de fleurs et des hommes qui pleurent de douleur amoureuse. Non, elle ne souhaitait pas qu’il pleure, mais elle voulait savoir que son homme en serait capable.
    — Je connais des Rwandais qui pleurent aussi quand ils connaissent un chagrin d’amour.
    Elle n’en connaissait pas.
    — Je veux que tu m’enseignes

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