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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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La nuit dernière, alors que l’église était déserte, il s’est aventuré dans les travées. Il s’accrochait d’une main aux piliers, tâtonnait, cherchait sa voie en se servant de la pâle lumière de l’immense cierge pascal trônant près de l’autel. Son regard s’est échappé par-delà les colonnes de Saint-Médard, par-dessus les toits. Dehors, il y avait la vie. Pourtant, il n’a pas même songé à fuir. Il se sait trop faible. Alors, il est retourné dans sa tanière. Il attend. Ce matin, il a été réveillé par le chant plaintif des grandes orgues situées au-dessus de l’entrée principale. Tous les mardis, le maître de chapelle s’exerce, c’est donc que ce jour est un mardi. Le musicien accroche les notes, se reprend, martèle les mêmes gammes discordantes, assassine la Missa de Beata Virgine de Josquin des Prés 3 , une belle messe habituellement chantée. Toussaint se retient de hurler. Il ne doit pas. Le supplice cesse enfin. L’organiste parle fort maintenant, à haute voix, et un homme s’est joint à lui. Il pourrait s’agir du menuisier Germain Pillon, l’artiste qui a fabriqué le buffet habillant l’instrument de musique. Ils règlent quelques détails. Les graves ne vibrent pas assez, croit deviner Toussaint. Ils ignorent sa présence, clandestine et invisible. Un proscrit caché dans la sacristie comme au temps de Montcler quand il s’était réfugié dans la chapelle. Saint Médard est le protecteur des prisonniers, mais qui est Calmés, celui qui le fouetta lorsqu’il n’était qu’un enfant et qui, aujourd’hui, semble veiller sur lui ?

    Ce n’est qu’une question parmi tant d’autres. Maintenant que le temps s’étire et n’en finit plus, Toussaint Delaforge en consomme à foison et ressasse ces années d’antan, perdues, inutiles, sombres. Pour s’être plié tant de fois à cet exercice depuis un mois, il a pour ainsi dire classé sa vie, l’a organisée entre bons et mauvais moments et ne peut s’empêcher de débuter par le meilleur. Lui vient d’abord sa prime enfance, insouciante et naïve, ignorant le malheur qui entourait sa naissance. Une époque sans haine, sans interrogation, sans aigreur, bercée par la tendresse de Berthe, la gentille cuisinière, et l’affection d’Aurore. Il lui faut faire un effort pour ne pas laisser entrer la colère dans cette scène, se concentrer pour que François de Voigny ne vienne souiller ce tableau et parce qu’il n’y résiste pas assez, la rage prend la suite. Ce sont les années de Montcler, la barbarie des nuits et l’odieux Ravort qui surgissent. Tout se mélange alors comme dans une boule de feu. La dernière image de Traîne la patte , cou taillé par la lame de Beltavolo, apparaît. Si le concilatore de la Bastille était le complice du chef de la Contrescarpe, aurait-il été éliminé ? Parfois, il conclut que oui ; parfois que non. Tout se brouille. Le voilà en train de penser à Eva, morte pour rien, à Raymond de la Montagne, mort pour l’avoir sauvé. Calmés lui a au moins expliqué où il les avait trouvés : à cent pas de la place de la Contrescarpe, comme le prédisait Tino Mezzalira : lui, à l’agonie ; l’autre, roide. Mais comment Passe-Muraille a-t-il fait pour se trouver là ? Ce dernier sourit :
    — C’est encore trop tôt. Il faut te reposer.
    Toussaint en est réduit à obéir. Avant de décider de la suite, il tente d’y voir clair dans son passé. La revue de ce qui était agréable se termine déjà. Que reste-t-il de ces vingt années ? Le sang, la rancœur, l’animosité. Non, il n’a pas oublié Marolles et ses manières secrètes de masquer la vérité. Qui était sa mère ? De quel père est-il né ? Ces interrogations n’ont jamais cessé de l’obséder et il n’a jamais renoncé à percer le sombre, à fendre la carcasse du jésuite. Il y pensait en se battant, à lui, le parrain, et au fils de La Place. Oui, leur tour viendrait. Plus il triomphait, plus sa conviction se renforçait. Il forcerait un jour les hauts murs de l’hôtel de la rue de la Couture-Sainte-Catherine. Il se présenterait dans le vestibule, affronterait le miroir de Murano. Il arracherait les mots de la bouche du marquis, de son fils, du jésuite. Cent livres pour acheter mon silence ? Cent livres, ce n’était rien ! Je suis riche, j’existe, je suis aimé d’une femme belle ! Maintenant, parlez ! Il n’avait plus peur, pas même de faire face à Aurore, à la morgue des gens

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