Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
e flotte américaine, soixante-dix mille GI’ s participaient également à l’effort de guerre.
L’Amérique avait même dépêché au Viêt Nam ses conscrits pour y mener une guerre de rouleau compresseur, comme elle l’a toujours fait et le fera plus tard et à deux reprises en Irak. Surtout depuis les combats urbains du Têt en 1968, les opinions publiques s’enflammaient, non seulement aux États-Unis mais dans l’ensemble de l’Occident. Il n’y avait pas d’actualité sans Viêt Nam et on imagine mal, de nos jours, la force des passions ainsi soulevées. C’était l’époque de Mai 68 en France et en Europe. La guerre du Viêt Nam devait forcer un président démocrate américain, Lyndon B . Johnson, à renoncer à briguer un second mandat. Ce qui avait facilité l’élection du républicain Richard Nixon, fin 1968, sur le thème de « la paix dans l’honneur » dont l’un des volets était la « vietnamisation » de la guerre. Le corps de presse à Sài Gòn avait rapidement parlé de « changer la couleur des cadavres ».
Au moment même où j’avais annoncé de graves divergences supposées entre Viêt Côngs et Nord-Vietnamiens, en novembre 1972, une étrange affaire s’était déroulée à mon insu, m’a raconté Pham Xuân Ân. La veille de la publication de cette désinformation, Lôc m’avait proposé, ainsi qu’à d’autres collègues, de rencontrer hors de Sài Gòn un cadre politique viêt công. La condition : un rendez-vous de nuit. J’avais donc envoyé mon article à Paris avant de prendre la route, en fin d’après-midi, en compagnie d’un petit groupe dont Lôc était le guide et dont faisaient partie Nguyên Hung Vuong, Cao Giao, Marcel Giuglaris, grand reporter à France-Soir, Ron Moreau, un Américain vietnamophone que venait de recruter Newsweek, et, si je me trompe pas, Daniel Southerland, du Christian Science Monitor. Pour des raisons de discrétion, le projet était d’arriver à la tombée de la nuit dans un hameau situé en contrebas d’une route nationale.
Notre équipée s’était déroulée sans anicroche. Nous avions passé un long moment à questionner le cadre viêt công, accompagné de deux acolytes, dans une paillote à quelques dizaines de mètres de la route nationale n o 7, en direction de la frontière cambodgienne. Ce cadre avait consacré une grande partie de son exposé à nous expliquer le programme politique de « réconciliation » des communistes. Il s’agissait, m’a expliqué Pham Xuân Ân, toujours minutieux, de « la résolution 19 du III e Congrès du Parti des travailleurs ». Puis, le cadre s’était éclipsé, tard dans la nuit, pour rejoindre un endroit moins exposé. Au tout petit matin, nous avions regagné Sài Gòn sans problème, nos carnets de notes remplis. Lôc avait bien fait son travail.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
« Un lieutenant du CIO avait reçu l’ordre d’abattre Lôc et devait le faire accompagner de tireurs d’élite à l’occasion de cette excursion. L’objectif était de discréditer la presse américaine en l’accusant de pactiser avec l’ennemi. On aurait mis le méfait sur le dos des Viêt Côngs », m’a dit Pham Xuân Ân vingt ans plus tard.
Circonspect, le jeune officier s’en était confié à Pham Xuân Ân, qui nous connaissait tous. « L’officier, a ajouté Pham Xuân Ân, n’a pas exécuté sa mission en raison de la présence de Nguyên Hung Vuong, de Cao Giao et de vous-même. »
« Le Viêt Công que Lôc vous a fait rencontrer à la campagne était authentique tandis que celui des enregistrements présentés par Lôc et qui avait rapporté un “coup d’État dans la jungle” était un faux Viêt Công. Lôc était en contact avec des vrais et des faux Viêt Côngs. Comme il guidait les journalistes étrangers dans la jungle, nous l’avions surnommé “Ông vua di rung”, le “roi qui se rend dans la forêt”, sans avoir de problèmes avec les services de sécurité des différents camps en présence », m’a dit Pham Xuân Ân vingt ans plus tard. Décidément, il était au courant de tout.
Pour compliquer ce qui l’était déjà assez, la femme franco-vietnamienne de Lôc, a précisé Pham Xuân Ân, était membre de l’Association des femmes dépendant de la section clandestine du FNL à Gia Dinh, faubourg de Sài Gòn. Le FNL ou le Front national de libération du sud du Viêt Nam avait été formé par les
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