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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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rapports
entendus, décisions prises. Le désastre de Narva s’inscrit là après l’exposé
laconique de Fleischman en termes méconnaissables comme pour l’entourage
profane des malades les noms scientifiques des maladies. « Constater l’incurie
des transports et l’impéritie du commandement. Renouveler les cadres politiques
de la X e division. Intensifier l’agitation au sein des troupes. Exiger
de l’Approvisionnement la livraison dans les huit jours des équipements de
rechange. Charger le camarade Fleischman de l’application des mesures décidées. »
    Marie Pavlovna, en blouse noire, le cou pris dans un col
montant, un teint de vieille institutrice, des pince-nez de forme ancienne aux
verres petits, la bouche sévère, ne plaça qu’un mot à propos des nominations :
    – Je suis contre l’avancement de Kirk. Il n’appartient
au parti que depuis un an. (Depuis la veille du jour où il enfonçait, avec ses
marins, les grilles du Palais d’Hiver.)
    Cette nomination fut écartée. Garina, petite, vieillotte, étonnamment
jeune du regard, un rire chatoyant sans cesse au fond des yeux, le nez rond, les
cheveux un peu fous, ne plaça qu’un mot, elle aussi, sur l’usine Wahl :
    – À la fin de la résolution, au lieu de : « Sans
reculer devant la contrainte », mettre : « Sans reculer devant
la pression la plus énergique »…
    Ce qu’elle commenta dans un petit rire à l’oreille de son
voisin Kondrati :
    – Car nous n’avons plus en réalité aucun moyen de
contrainte…
    Les hommes, dans cet éclairage d’amphithéâtre, étaient
ternes, à deux exceptions près : le président, tête forte, joues bleues, abondante
chevelure, traits bien découpés, un peu mous, de jeune empereur romain ou de
négociant smyrniote, voix basse aux tons de fausset quand il s’animait, allure
pesante, nonchalance et domination, fatigue et intrigue, grandeur certaine et
médiocrité cachée ; et le secrétaire du comité, Kondrati, le teint clair, des
boucles dorées aux tempes, un visage affiné mais rude, du sang Scandinave et du
sang mongol. Tous interchangeables autour de cette table, dans cette ville, ce
pays, au front, devant la besogne et la mort même, chacun n’étant ici qu’une
tête de l’être à onze têtes – ce soir – appelé le Comité, chacun
confondant son intelligence et sa volonté dans celles, anonymes, impersonnelles,
souveraines et supérieures, du Comité, chacun se sachant puissant et
invulnérable par le parti, mais insignifiant et par avance anéanti sans le
parti ; chacun n’admettant pas d’exister par lui-même autrement qu’en
accomplissant une volonté prodigieuse dans laquelle la sienne propre se perdait,
goutte efficace dans un océan.
    – Qui envoyer à la Grande-Usine ?
    Une seule tête en onze crânes pesa mûrement la question. Ossipov ?
Il était là, le menton dans la main, avec son long visage de séminariste ou de
forçat. Ossipov avait entraîné au combat le prolétariat de la Grande-Usine, en
des journées décisives. Non, non, trop idéaliste, trop disposé au sacrifice, ne
comprenant plus la masse quand elle s’affaisse sur elle-même, découragée, retombée
au désir passif de vivre en paix, même si ce n’est guère vivre… Roubine ? Bon
organisateur mais formaliste. Kondrati ? Trop tôt. Si ça tourne tout à
fait mal, pour réparer ou consommer un désastre, pas avant. Garina ? Une
femme ne ferait pas l’affaire ; et puis, ses finesses théoriques en faisaient
une propagandiste de premier ordre, mais une déplorable agitatrice. Savéliev ?
Usé par le problème ouvrier, tourmenté de scrupules –  « voyez donc
ce que l’ouvrier mange depuis qu’il a pris le pouvoir ! » – capable
de perdre la tête. Non, non. Plusieurs voix dirent :
    – Antonov.
    Antonov. Naturellement. Nul ne ferait mieux. Quel organe, Antonov !
Fait pour couvrir le tumulte d’une gare. Du caractère. Tenace. Pas intelligent.
Pas bête. Discipliné. Peu d’idées, du cran. De la vulgarité. Du tact.
    – Antonov. Vous l’instruirez, Kondrati, fit le
président.
    Le reste de la séance fut pris en réalité par l’intrigue. La
coterie Kondrati disputait les postes à celle du président qu’on la soupçonnait
de vouloir débarquer. Une discussion confuse où personne ne disait ce qu’il
pensait eut lieu sur des nominations de secrétaires de rayons. L’accord se fit
à la fin sur un compromis : on partagea les emplois. Léger

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