Voyage en Germanie
s’effondrant à terre d’une manière caractéristique. Il y eut un instant de flottement. Les deux survivants prirent leurs jambes à leur cou à la vitesse des soldats qui savent à quoi ils viennent d’assister. Je le savais, moi aussi, mais ça restait difficile à appréhender.
Pas la peine de les pourchasser. J’étais trop essoufflé, de toute manière. Les gardes du tribun se précipitèrent hors de la maison munis de torches et suivis de Justinus. Désordre et agitation enflèrent, puis s’éteignirent en un diminuendo de mauvais aloi quand la lumière révéla les traits du mort.
C’était un meurtre atroce. Une incroyable quantité de sang s’était répandue. La tête du soldat avait quasiment été tranchée par une lame plus effilée encore que l’acier militaire.
Je tournai la tête vers l’assassin. Il demeurait immobile, tenant l’arme à la main en une attitude familière d’artisan. L’un des gardes esquissa un geste pour la lui enlever, sans vraiment y parvenir : le cran lui manqua. Un autre brandit lentement un flambeau, comme s’il craignait de dévoiler quelque spectacle surnaturel.
Nous n’eûmes pas cette chance. Nous ne découvrîmes que le regard vitreux et dément d’un touriste ébahi du culot et de l’inventivité qu’il venait de se découvrir à la faveur de sa toute dernière aventure.
— Xanthus !
Grands dieux. Quelqu’un allait maintenant essuyer des interrogatoires difficiles avant que cet infortuné baroudeur se voie restituer son passeport et l’autorisation de rentrer chez lui.
28
Lui continuait à me considérer comme son protecteur et se tourna vers moi avec un bêlement épouvanté. Je lui laissai son rasoir – il avait l’air de savoir s’en servir.
— Je ne te demanderai pas combien de fois tu as déjà fait ça !
— Ça vaudrait mieux, en effet.
Le ton était dégagé, mais je constatai que Xanthus était en état de choc.
— Je me suis toujours dit que tu avais été chargé de m’assassiner. Mais en fin de compte, c’est plutôt de mon passé militaire que vient le danger…
— Je crois qu’il va falloir que je rentre en Italie, Falco.
— Tu es bien ici.
— Non, je voudrais être à Rome.
Justinus prenait les choses en main. Il examina les marques d’identité scarifiées sur le fourreau du glaive que portait le mort.
— Un des délinquants de la Quatorzième… (Il ordonna à l’un de ses gardes d’aller chercher le tribun laticlave de l’autre légion :) Sois prudent. Tâche de décider Aulus Macrinus à venir seul. Je n’ai pas envie de voir cette légion de fous débarquer ici au grand complet et en rogne. (Il vint m’aider à m’occuper du barbier.) Ne t’inquiète pas, Xanthus. Il va falloir que mon commandant t’interroge, mais ça ne devrait pas aller plus loin que ça.
— Tu as l’air bien sûr de toi ! marmonnai-je en aparté. Ça te fait plaisir d’aller expliquer à tes collègues, dont la sensibilité est bien connue, comment il se fait qu’un des leurs se soit fait dégommer de cette façon-là dans le secteur de la Première ?
— Je trouverai bien quelque chose à leur dire.
Face à cette situation critique, il réagissait bien : son regard brillait d’énergie contenue, mais il réfléchissait posément. Son sang-froid calma ceux qui l’entouraient.
— Marcus, tiens-toi prêt. Certaines choses sont pires que tu te l’imagines !
Sitôt ma curiosité piquée par cette phrase mystérieuse, il reprit d’un ton plein de sollicitude : — Dégageons ce pauvre type d’ici…
Xanthus fut pris de légers tremblements. Immobile, comme hypnotisé, il contemplait le cadavre. Il allait falloir user de diplomatie pour le ramener à l’intérieur. De fait, nous avions tous du mal à nous empêcher de fixer la scène du regard.
Nous étions encore dans la rue quand le garde revint avec Macrinus. Son rictus aristocratique lui-même blêmit légèrement quand nous nous écartâmes afin de lui faire voir pourquoi il avait été appelé.
— C’est un des nôtres ? Grands dieux, Camillus !
— Écoute les explications, Aulus…
— Elles ont intérêt à être bonnes !
— Pas de menaces ! coupa Justinus avec une vigueur surprenante. Il n’est pas question de débattre. J’ai ici un témoin respectable. Trois de tes soldats s’en sont pris à Falco…
— Plaisanterie d’ivrognes.
— Que non ! L’histoire a éclaté sans la moindre provocation, et tout était parfaitement
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