Will
se précipitait, jamais elle ne
s’affolait – je ne l’avais jamais vue fournir le moindre effort. Tout ce
dont elle avait besoin semblait venir à elle de son propre gré. Et si, parfois,
ses aînés semblaient mal à l’aise en sa présence, les enfants trouvaient
toujours paix et réconfort dans ses robustes bras.
Elle était, ainsi que je l’ai dit, experte en toutes sortes
d’arts étranges. Et c’est par l’un de ceux-ci ou par un autre que je la
soupçonne d’avoir gardé Cél Craidd dissimulé aux yeux de tous les intrus.
Comment elle y parvenait, je ne l’ai jamais découvert. Mais je sais que les
anciens faisaient grand cas de ce qu’ils appelaient le caim – un
charme de protection, pourrait-on dire, utile contre nombre de dangers, de
menaces et de maux. Quelque chose de ce genre devait protéger le perchoir du
Roi Corbeau. Mais une fois encore, peut-être que je suis juste un bel imbécile
et qu’il n’y avait rien de tel.
J’en suis bientôt venu à voir notre banfáith non pas comme
une sorcière gâteuse sur ses longues échasses, mais comme l’esprit même de Cél
Craidd. Son âme était insondable, noble, bénie, sa sagesse aussi sûre que la
flèche de l’arc infaillible de Bran, sa volonté résistante comme du duramen et
plus forte que le fer. Des battements d’ailes de la première colombe matinale
au volettement feutré du hibou nocturne, rien n’échappait à son attention. La
portée de ses sens toujours en éveil, scrutateurs, s’étendait au-dessus de sa
forteresse boisée et loin, bien loin au-delà. Par moments, j’en suis persuadé,
ils pénétraient même jusque dans les châteaux des barons normands.
C’est un événement en particulier qui m’a appris à respecter
son jugement, aussi bizarre que ledit jugement pût paraître à première vue. Voilà.
Un bel hiver sec avait commencé. Je vivais depuis quelques semaines avec la
tribu de la forêt, m’habituant à leurs mœurs et au tempérament de chacun. Je
les aidais à récolter les racines misérables dans les champs ; je coupais
du bois pour la charretée ; j’ai participé à l’abattage de deux des trois
cochons, au salage et au fumage de la viande pour la conserver pendant l’hiver.
J’ai aussi prêté main-forte à la construction de deux nouvelles cabanes –
une pour la famille qui était arrivée environ une semaine avant moi, et l’autre
pour une jeune veuve et sa petite fille tirées des griffes des maraudeurs du
comte Falkes et de leurs chiens de meute.
La plupart du temps, cependant, j’allais chasser avec Iwan,
Siarles et un ou deux autres hommes. De temps à autre, Bran se joignait à
nous ; le plus souvent, c’était Iwan qui menait le groupe. Siarles, dont
les talents de forestier dépassaient même les miens, nous servait toujours de
guide. Il savait où on pouvait trouver des cerfs, à quel coude les cochons
sauvages allaient se montrer, ou à quel moment les oiseaux afflueraient ou
s’envoleraient. Un bon chasseur, étrange à sa façon, qui faisait presque
toujours en sorte que nous ne revenions pas les mains vides de la chasse.
Certes, nous n’avions guère le choix – nous rapportions du gibier ou nous
mourions de faim.
À la moindre petite occasion, je subissais quelque test, et
jamais ouvertement. En fin de compte, par un mot, un geste, un échange de coups
d’œil, j’en suis venu à penser que, s’ils acceptaient ma présence parmi eux,
ils ne me faisaient pas encore complètement confiance. Ils mettaient à
l’épreuve tant mes talents que mon courage, sans parler de mon honneur. C’était
on ne peut plus naturel, je le sais bien, pour des gens dont les vies
dépendaient du fait de rester dissimulés. Il y avait des espions du baron
partout, et l’abbé était un ennemi rusé, impitoyable. La vie ou la mort du Roi
Corbeau reposait sur la loyauté de sa volée, autant que l’inverse.
Ainsi donc ils me surveillaient, et me testaient. Loin de leur
en vouloir, je me réjouissais de chaque occasion de faire mes preuves.
« Qu’est-ce qu’il y a, Odo ? Je m’égare, tu
dis ? » Ces derniers temps, notre Odo s’est mis à m’interrompre
chaque fois qu’il estime que je vagabonde un peu trop loin et que je ne serai
pas capable de retrouver mon point de départ. Il me recadre alors d’un mot ou
deux. « Peut-être bien, mais c’est tout d’une pièce, tu comprends.
— Peut-être bien, dit-il en se frottant la tonsure.
Mais vous parliez
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