Will
vendre quelque nouvelle poterie ou d’en recoller une vieille.
En bonne fille d’Ève à la langue bien pendue qu’elle était, elle l’avait
renvoyé avec les deux oreilles cuisantes pour le dérangement causé.
Alors, n’était-ce pas la signature d’un coquin de rétameur
de rôder derrière son dos et de tuer ses précieuses oies pendant qu’elle
regardait ailleurs ? Elle se rendit au marché avec son histoire, qui se
répandit bientôt partout dans la ville. Tout le monde chercha le rétameur, qui
ne fut pas difficile à trouver puisqu’il ne se cachait pas. Ils l’attrapèrent
au bord de la rivière, en train de laver ses vêtements, et le traînèrent à demi
nu devant le shérif pour savoir quoi faire du tueur d’oies.
Justement, d’autres citadins avaient fouillé les environs et
trouvé un serf qui avait manqué à sa parole envers son seigneur normand vivant
quelque part au nord. Le pauvre hère, qui avait traversé la ville un jour ou
deux auparavant, fut découvert caché dans l’étable d’une ferme située à deux
pas. Ils attachèrent le serf et le conduisirent en ville, où le shérif avait
déjà installé son siège de jugement devant l’hôtel de ville, sur la place du
marché. De Glanville était à deux doigts de pendre le rétameur quand la
deuxième clique déboula en ville avec son prisonnier.
Et maintenant, que faire ? Les deux hommes jurent
qu’ils sont innocents et crient grâce. Ils en appellent à la foule et poussent
des cris à faire sortir le démon. Bien sûr, le shérif ne sait dire qui est
coupable de ce crime abominable. Mais peu importe. Il se lève et dit :
« Vous suppliez le ciel de vous aider ? Qu’il en soit ainsi !
Pendez-les tous les deux et laissons Dieu décider lequel des deux ira en enfer. »
Et voilà que ses hommes fixent un autre nœud coulant au bout
de la première corde, et qu’ils la font passer par-dessus une poutre du toit de
l’hôtel de ville. Il pend les deux hommes sur la place du marché avec la même
corde – un pauvre diable à chaque bout. Voilà, maintenant vous savez qui
est ce maudit Richard de Glanville…
« Qu’est-ce qu’il y a, moine ? Tu trouves ça
invraisemblable ? »
Odo renifle et son nez se fronce d’incrédulité.
« Excusez-moi, mais lequel d’entre eux a tué les oies ?
— Lequel ? J’aurais pensé que ce serait évident
pour un gars intelligent comme toi, Odo. Alors, dis-moi, qui est le
coupable ?
— Le rétameur, par rancune, parce que la femme du
fermier avait refusé d’acheter ses poteries ou de lui donner le travail.
— Oh, Odo. » Je secoue la tête avec un soupir,
indigné par son ignorance. « Ce n’était pas le rétameur. Non, certainement
pas lui.
— Le serf alors, parce qu’il était…» Il se gratte la
tête. « Affamé ? Je ne sais pas.
— Ce n’était pas le serf non plus.
— Alors qui ?
— C’était un petit filou de renard, évidemment. Tu vois
Odo, un homme ne peut pas tuer une oie sans que le monde entier soit au
courant. D’abord, il faut attraper le maudit volatile, qui pousse les
gloussements les plus effrayants qui soient – sans compter tous les autres
qui se mettent aussitôt à lui répondre. Par la hache d’Adam, ça pourrait
réveiller un mort, tiens. Mais un renard, par contre, un renard c’est agile
comme une ombre, et pas moins silencieux. Un renard agit rondement, et il
effraye tellement le troupeau qu’aucune bête n’ouvre le bec. Avec un renard
dans la grange, on ne se rend compte de rien avant d’entrer et de découvrir un
tas de plumes ensanglantées. »
Odo se hérisse à mes paroles. « Vous dites que le
shérif a pendu deux innocents ?
— Je ne sais pas s’ils étaient innocents, remarque,
mais de Glanville a pendu deux hommes pour un crime qu’aucun ne pourrait avoir
commis. »
Odo secoue la tête. « Des rumeurs, décide-t-il.
Rumeurs, calomnie, mensonges.
— Bien sûr. Continue à y croire, prêtre. Continue de te
le dire jusqu’à ce qu’ils trouvent une raison de serrer une corde autour de ton
joli petit cou grassouillet, et là on verra comment tu chantes. »
CHAPITRE 15
La neige a continué de tomber toute la nuit et les jours
suivants, recouvrant tout, s’amoncelant sur les champs et la forêt, les
collines et les vallées partout en Elfael. À la première accalmie, nous sommes
allés récupérer le reste du butin pour le rapporter à Cél Craidd, de même que
les quatre bœufs
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