Bonaparte
L’effet produit n’est pas celui qu’on espérait et met l’Empereur dans une violent état de mauvaise humeur. Il se dirige précipitamment, avec Berthier, vers la terrasse qui longe le parapet pratiqué du côté de la mer. Il marche fort vite, en ponctuant ses pas d’exclamations qui ne laissent aucun doute sur son profond mécontentement. Un incident plaisamment raconté par Laure Junot, va apporter quelque détente. Une admiratrice de l’Empereur – Mme B..., aux formes abondantes – veut s’avancer vers lui. « La manière tourbillonnante dont les drapeaux flottaient au-dessus du trône annonçaient à Mme B... que sa robe et ses jupons éprouveraient le même effet... L’Empereur, occupé de ce qui se passait à quatre-vingt ou cent pieds au-dessous de lui, continuait à arpenter vivement la terrasse sans quitter cet espace dont il ne sortait pas... Excessivement contrarié, il parlait haut et d’une façon assez énergique pour exciter au plus haut point l’intérêt d’une personne fort capable, par son esprit, d’apprécier Napoléon et qui désirait le voir de près. Elle oublia la tempête. Dans cet instant, une bouffée de vent frappe Madame B... et, s’engouffrant sous une grande capote qu’elle portait, fait dénouer les deux rubans qui la retenaient. Madame B... qui avait une perruque et qui sentait qu’elle allait suivre le chapeau, laissa les jupons pour courir au plus pressé. Mais le vent, sans aucune retenue, se mit à soulever jupons et robe... Le chapeau fut abandonné à ce vent malhonnête, qui l’emporta, qui emporta la perruque, qui emporta tout, et Madame B... sauva l’honneur de ses jambes, mais demeura en enfant de choeur devant Napoléon, qui, précisément en cet instant, se retournait croyant parler au ministre de la marine... Il faut convenir que l’épreuve était difficile pour l’Empereur. Il était impossible de ne pas rire à la vue d’une personne extrêmement grosse, présentant une tête grasse, blanche et ronde, et, avec tout cela, une physionomie fort égarée et des mains cherchant toujours à retenir des jupons que le vent continuait à vouloir mettre à pleine voile. L’Empereur se conduisit néanmoins très bien. Il ne put retenir un sourire en passant près de Madame B... »
Puis, au son de soixante musiques militaires, commence un défilé monstre, ouvert par les marins qui, la hache d’abordage sur l’épaule, chantent des hymnes guerriers et gaillards.
Le lendemain soir, un feu d’artifice de trois mille « cartouches à étoiles » est tiré par les unités de la ligne d’embossage. Quinze mille fusées lancées du haut des falaises strient le ciel de traits lumineux. On y voit comme en plein jour, à la grande stupéfaction des vaisseaux anglais croisant toujours au large.
L’Angleterre, sur le pied de guerre, attend que retentisse le terrible cri : « Ils arrivent ! », et les engagés s’inscrivent pour repousser l’envahisseur Boney. C’est ainsi qu’ils ont surnommé Napoléon. « La cavalerie des volontaires est ce qu’il y a de plus risible, nous apprend le rapport d’un agent secret diffusé à Boulogne en ce même mois d’août. La plus grande partie n’a que des chevaux de louage, qu’ils prennent les jours de service, après quoi Monsieur le cavalier est à pied... Il y a un régiment qui n’est pas dans ce cas, c’est celui des dragons de Saint-James, c’est tout ce qu’il y a de plus riches jeunes seigneurs en Angleterre... Chaque cavalier tient à sa suite cinq ou six domestiques à cheval, l’un porte le porto, l’autre la liqueur, l’autre des habits bourgeois destinés à son maître. Ainsi quand Monsieur le dragon de Saint-James est fatigué d’être dans le rang, il peut quitter l’uniforme et devenir simple particulier... »
Il n’empêche que l’Angleterre, à côté de ses soixante-dix mille miliciens, peut aligner une armée de cent trente-six mille hommes – sans parler des équipages des escadres. Le 26 août, une vingtaine de bâtiments anglais attaquent les péniches et la flottille de débarquement. L’Empereur prend place dans le canot amiral. Les dégâts ne sont guère importants et l’ennemi se retire avec la marée.
« Madame et Chère femme, a écrit le 20 août Napoléon à Joséphine, en la vouvoyant, je serai dans dix jours à Aix-la-Chapelle. De là, j’irai avec vous à Cologne, Coblence, Mayence, Trêves, Luxembourg... Vous pouvez m’y attendre, à moins que vous ne
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