Bonaparte
détresse ».
Il est six heures du matin, ce 13 vendémiaire an IV, ou 5 octobre 1795, vieux style. Maintenant une pluie fine a succédé aux rafales et tombe inexorable. Le vent souffle toujours. Quelles sont les forces en présence ? Trente mille sectionnaires contre cinq mille soldats, quinze cents gendarmes et policiers, enfin quinze cents hommes formant un « bataillon sacré » ou baptisé « terroriste », selon les opinions.
Buonaparte a également fait parvenir huit cents armements complets destinés aux députés. Dès que le feu commence, le président Legendre s’écrie :
— Recevons la mort avec l’audace qui appartient aux amis de la liberté !
Et, en tremblant quelque peu, les Représentants glissent une balle dans leurs fusils.
Napoleone a fait placer deux pièces de huit dans la rue Neuve-Saint-Roch, en face de l’église. Le tir des boulets enfile la rue, racontera Thiébault. « Les canons ayant de cette sorte renversé ou écarté tout ce qui s’était trouvé en vue, mille hommes du bataillon des patriotes, suivis d’un bataillon de la ligne, débouchent du cul-de-sac et abordent ceux des sectionnaires qui se trouvent encore devant le portail et qui occupent la rue Saint-Honoré. Le choc est violent, on combat corps à corps. Nos troupes néanmoins gagnent du terrain ; six pièces d’artillerie sont aussitôt mises en batterie, trois à la droite, trois à la gauche du cul-de-sac, et achèvent de mettre en déroute les sectionnaires, qui en toute hâte se retirent vers la place Vendôme et vers le Palais-Royal... Le combat est dirigé par le général Bonaparte en personne. »
Voilà qui est net et précis alors que Barras racontera allègrement : « Buonaparte me suivait, il n’exerça dans la journée du 13 Vendémiaire, d’autres fonctions que celles de mon aide de camp. J’étais à cheval, il était à pied et ne pouvait, par conséquent, suivre tous mes mouvements... Je n’ai point omis le trait qui indiquait pourtant un coup d’oeil militaire assez prompt lorsque me tirant par un pan de mon habit et m’entraînant à quelques pas de la position qui m’exposait au premier feu, il me dit avec une vivacité inspirée par le moment :
— Si vous étiez tué, tout serait perdu ; le drame roule sur vous seul ; personne ne pourrait vous remplacer : que décidez-vous ?
C’est alors que j’ordonnai à Brune de tirer le canon, et que Buonaparte, me serrant la main, ajouta :
— La République est sauvée ! »
Ainsi, s’il faut en croire le vicomte, c’est simplement pour avoir suivi en trottinant à pied le cheval de Barras que Buonaparte va recevoir le commandement de l’armée de l’Intérieur !
Au récit du futur directeur, écrit sous la Restauration, combien est-il préférable de lire sous la plume de Buonaparte ces simples lignes tracées dans la nuit du 5 au 6 octobre : « Les Comités m’ont nommé pour commander en second. Nous avons disposé nos troupes ; les ennemis sont venus nous attaquer aux Tuileries, nous leur avons tué beaucoup de monde. »
Depuis onze heures la pluie s’est calmée, mais le temps demeurait couvert. Le vent ne cessera de souffler que dans la soirée. Les Tuileries offrent un pénible spectacle : le vestibule et le rez-de-chaussée sont pleins de blessés étendus sur de la paille. Des chirurgiens s’affairent. Beaucoup d’épouses de députés sont venues se réfugier au château afin de partager le sort de leurs maris ou pour fuir la fureur des sectionnaires. « De ce nombre, rapportera le baron Thiébault, les plus âgées servaient d’infirmières, les plus jeunes faisaient de la charpie. C’était donc à la fois un sénat, un gouvernement, un quartier général, un hôpital, un camp, un bivouac. »
Cinq jours plus tard, la Convention, sur la proposition de Barras, commandant en chef de l’armée de l’Intérieur, nomme le général Buona-Parte, ainsi que l’écrit le Moniteur, commandant en second, et le 16, Napoleone est promu général de division. Le 26 octobre, Barras devenant directeur – l’un des cinq rois du nouveau régime – démissionne de son emploi et Buonaparte lui succède au commandement de l’armée de l’Intérieur.
Éblouissante promotion qui stupéfie tout le monde – sauf lui !
Il a quitté, depuis quelques jours déjà, l’hôtel du Cadran bleu – peut-être trop onéreux pour sa bourse – et demeure dans un hôtel borgne : À l’Enseigne de la Liberté, rue des Fossés-Montmartre,
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