Bonaparte
notre actuelle rue d’Aboukir. C’est de là qu’il partira pour aller s’installer rue des Capucines, dans la belle résidence attachée à son poste et dont la façade donne place des Piques – ci-devant place Vendôme, autrefois Louis-le-Grand – où un jour s’élèvera la nouvelle colonne trajane de Napoléon.
À la suite du 13 Vendémiaire, un ordre du jour défend sous peine de mort, aux habitants de Paris, de conserver des armes. Le fils de Joséphine, Eugène de Beauharnais, bouleversé à l’idée de se séparer du sabre qu’il tenait de son père, se présente chez Buonaparte qui, ému par les larmes du jeune officier – et sachant qu’il a devant lui le fils d’une amie de Thérésia Tallien et de Barras – lui fait rendre l’épée.
Le lendemain, Rose – puisque tel est alors le nom de Joséphine – fait une visite à Napoleone pour le remercier, et sans doute, le surlendemain, le général se rend à son tour rue Chantereine où Mme de Beauharnais vient de s’installer. Buonaparte reviendra voir la mère d’Eugène. Cependant, il espace bientôt ses visites. Peut-être le souvenir de Désirée le retient-il encore ?
Le nouveau commandant de place possède un bel équipage, il invite à « des déjeuners somptueux où se trouvent parfois des dames », nous dit Bourrienne, il reçoit, parle avec assurance – et cela à l’étonnement de tous. « On se demande, déclare un contemporain, d’où il vient, ce qu’il a été, par quels services extraordinaires il s’est recommandé. » Il ne paraît nullement grisé et semble même avoir parfaitement conscience de son incompétence dans le domaine du commandement de la place et de général en chef de l’armée de l’Intérieur. Thiébault, qui l’a vu au lendemain du 13 Vendémiaire, nous le peint pénétrant dans son bureau de l’état-major général avec son petit chapeau, surmonté d’un « panache de hasard » assez mal attaché d’ailleurs, sa ceinture tricolore plus que négligemment nouée, son habit fait à la diable, et un sabre « qui, en vérité, ne paraissait pas l’arme qui dut faire sa fortune ». Il jette son chapeau sur la grande table occupant le milieu de la pièce et aborde un vieux général nommé Krieg, extraordinaire comme « homme de détail » et auteur d’un livret faisant autorité, intitulé : Manuel des Guerres et des Soldats Républicains. Il le fait asseoir à côté de lui, et, la plume à la main, se met à l’interroger sur une foule de faits ayant rapport au service et à la discipline. « Certaines de ces questions prouvent une telle méconnaissance que les officiers présents ne peuvent dissimuler leurs sourires. » Thiébault, frappé du nombre de ces questions, de leur ordre, de leur rapidité, est surtout saisi par le fait de voir un général en chef mettant « une entière indifférence à montrer à des subordonnés, combien, en fait de métier, il ignorait des choses que le dernier d’entre eux était censé savoir parfaitement. Ce fait, conclut-il, le grandit à mes yeux de cent coudées. »
Buonaparte – bien sûr – n’abandonne pas le clan. Il demande une place de consul en Italie pour Joseph. Lucien, déjà adjoint à Fréron envoyé en mission à l’armée du Rhin, a été nommé commissaire des guerres dès le 28 octobre. Deux jours auparavant Napoleone a fait nommer Louis, lieutenant d’artillerie, et le 12 novembre, l’a appelé près de lui, comme aide de camp. Il va se charger en outre du petit Jérôme et le mettra au collège à la fin de l’année. « Tu le sais, avait-il écrit à son frère Joseph, je ne vis que pour le plaisir que je fais aux miens. »
Puisque le voilà sorti d’affaire, il fait parvenir de l’argent à la famille : « cinquante ou soixante mille francs, argent, assignats, chiffons, annonce-t-il. Elle ne manque de rien... Elle est abondamment pourvue de tout... Je ne puis faire plus que je ne fais pour tous. »
Assurément, le clan peut être satisfait, mais le clan – et il en sera ainsi jusqu’à la fin de l’extraordinaire aventure – trouve qu’il ne fait jamais assez pour lui.
Et Désirée ?
L’aime-t-il encore ? Sans doute – dans une lettre adressée le 9 novembre à Joseph –, il recommande à son frère d’embrasser Désirée de sa part mais, tout en pensant à celle qu’il appelle encore sa fiancée, il envisage d’épouser l’amie de sa mère, Mme Permon-Comnène, son ancienne correspondante alors qu’il se
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