Bonaparte
toi, je ne puis plus être utile ici. Aime qui veut la gloire, serve qui veut la Patrie, mon âme est suffoquée dans cet exil ; et lorsque ma bonne amie souffre, est malade, je ne puis froidement calculer la victoire... Mes pleurs inondent ton portrait ; lui seul ne me quitte pas... »
Rien ne parvenant à apitoyer la maîtresse d’Hippolyte, le pauvre mari écrit à Joseph : « Mon ami, je suis au désespoir. Ma femme, tout ce que j’aime dans le monde, est malade. Ma tête n’y est plus... Je l’aime à la fureur et je ne puis rester plus loin d’elle... »
Barras, alerté par Joseph, demande alors à Carnot de calmer Bonaparte en rejetant la responsabilité de l’absence de Joséphine sur le Directoire « dans la crainte que les soins que lui donnerait son mari ne le détournassent de ceux auxquels la gloire et le salut de la patrie l’appellent... »
Mais il fallait maintenant que, coûte que coûte, la créole se décidât ! Bonaparte dans ses lettres, n’avait-il pas annoncé que si sa femme était réellement malade, il accourrait à Paris ? N’avait-il pas déclaré que sans Joséphine, il estimait ne plus être utile à l’Italie ? Bref, il était prêt à laisser là les diplomates implorant alors l’armistice et à abandonner son armée à qui voudrait la prendre ! Ainsi, toute la conquête dépendait des coucheries de Joséphine ! Certes, tout avait jusqu’à présent marché à miracle, mais il y avait la suite : les Autrichiens ne s’apprêtaient-ils pas à tendre la main à Mantoue encerclée ? Or rien, jusqu’alors, n’avait pu convaincre la créole à abandonner son cher et bel Hippolyte qui la faisait rire aux larmes, et savait si joliment la chiffonner dans son boudoir en rotonde !
Cette fois les cinq directeurs se fâchent et – le 24 juin – mettent de force Joséphine dans sa voiture. « Plongée dans un chagrin extrême, fondant en larmes », nous dit un témoin, elle quitte enfin Paris. Mais, dès les premiers tours de roue sur le chemin d’Italie, ses larmes sèchent : en face d’elle, touchant ses genoux, se trouve Hippolyte, le joyeux – et beau – boute-en-train.
Elle a emmené son amant avec elle !
Et Napoléon ? Il est rayonnant. Dès qu’il a appris la merveilleuse nouvelle, il s’écrie :
— Berthier : elle vient ! Vous entendez, elle vient ! Je savais bien à la fin qu’elle se déciderait !
Il la suit par la pensée. Le 11 juillet, il lui écrit de Vérone, la croyant déjà arrivée à Milan : « À peine parti de Roverbella, j’ai su que l’ennemi se présentait à Vérone. Masséna faisait des dispositions qui étaient très heureuses. Nous avons fait six cents prisonniers, et nous avons pris trois pièces de canon. Le général Brune a eu sept balles dans ses habits, sans avoir été touché par aucune : c’est jouer de bonheur. Je te donne mille baisers. Je me porte très bien. Nous n’avons eu que dix hommes tués et cent blessés. »
Mais ce même soir, à neuf heures, en arrivant à Milan, il est douloureusement surpris de ne pas encore la voir. Le surlendemain – 13 juillet –, un courrier lui annonce qu’il précède d’une heure « l’incomparable Joséphine ». Il saute à cheval pour se porter au-devant d’elle. Aux portes de Milan, il la tient enfin dans ses bras ! Il est tellement fou de désir, il pense avec tant de flamme à ce corps tout en langueur et en fossettes, qu’il va serrer tout à l’heure contre lui, qu’il ne remarque même pas près de sa femme la présence d’Hippolyte Charles... Mieux : on le verra durant les deux premiers jours qu’il passera avec elle à Milan, accueillir l’amant à sa table et dans son salon.
L’incorrigible et insatiable Joséphine a amené avec elle de Paris deux « affairistes » pour leur faire obtenir des marchés avec l’armée, et prélever évidemment une dîme au passage. « Je savais à quoi m’en tenir sur le sieur Charles, racontera l’un d’eux. Je me sentais mal à l’aise, en voyant ce jeune général, déjà couvert d’une gloire qu’il réfléchissait sur sa femme, rival malheureux d’un gringalet qui n’avait pour lui que sa jolie figure et une élégance de garçon perruquier. »
On ne peut ressentir qu’un sentiment de malaise en lisant sa première lettre écrite après leur nouvelle séparation : « Je croyais t’aimer il y a quelques jours ; mais, depuis que je t’ai vue, je sens que je t’aime mille fois plus encore. Depuis que je te
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