Bonaparte
sera contraint de quitter la Ville Éternelle occupée par Berthier {16} .
Bonaparte adresse également un bulletin de victoire à Joséphine – désespérément silencieuse – et la supplie de venir lui apporter, à Ancône ou à Rimini, la récompense du vainqueur. Puis il ajoute, le chagrin le serrant à la gorge : « Pas un mot de ta main, bon Dieu ! qu’ai-je donc fait ? Ne penser qu’à toi, n’aimer que Joséphine, ne vivre que pour ma femme, ne jouir que du bonheur de mon amie, cela doit-il mériter de sa part un traitement si rigoureux ? Mon amie, je t’en conjure, pense souvent à moi, et écris-moi tous les jours. Tu es malade, ou tu ne m’aimes pas ! Crois-tu donc que mon coeur soit de marbre ? Et mes peines t’intéressent-elles si peu ? Tu me connaîtrais bien mal ! Je ne puis le croire. Toi, à qui la nature a donné l’esprit, la douceur et la beauté, toi qui, seule, pouvais régner dans mon coeur, toi qui sais trop, sans doute, l’empire absolu que tu as sur moi ! Écris-moi, pense à moi, et aime-moi... Pour la vie tout à toi. »
Le 24 février, après être passé par Ravenne et Rimini, il arrive à Bologne où il retrouve enfin sa femme qui, bien entendu, n’a pas voulu descendre jusqu’à l’Adriatique ainsi qu’il le lui avait demandé.
Après cinq nuits d’amour, il gagne Mantoue où il prépare sa campagne décisive : la marche sur Vienne, qui, dans sa pensée, après Arcole et la chute de Mantoue, doit amener la maison d’Autriche à Canossa et apporter la paix, tant sur le Rhin que sur les Alpes. Grâce aux renforts apportés par Bernadotte, Bonaparte a maintenant sous ses ordres soixante-quatorze mille hommes. En face de lui, il trouvera l’armée autrichienne commandée par un adversaire de taille : l’archiduc Charles, fils de Léopold II, neveu de Marie-Antoinette, qui a été nommé maréchal après la campagne de 1793. Il a battu Moreau à Rastadt et Jourdan à Amberg et à Wurtzbourg. Le 9 mars, Bonaparte quitte Mantoue et porte son quartier général à Bassano. Bien secondé par Masséna, il forme le projet de s’avancer au coeur des États autrichiens. Il fera frémir ainsi celui qui sera un jour son beau-père.
Le 10 mars, du quartier général, il lance cet ordre du jour à l’Armée, véritable bilan de la dernière campagne : « Vous avez remporté la victoire dans quatorze batailles rangées et soixante-dix combats ; vous avez fait plus de cent mille prisonniers, pris à l’ennemi cinq cents pièces de canon de campagne, deux mille de gros calibre, quatre équipages de pont. Les contributions mises sur les pays que vous avez conquis ont nourri, entretenu, soldé l’armée pendant toute la campagne ; vous avez, en outre, envoyé trente millions au ministère des Finances pour le soulagement du Trésor public. Vous avez enrichi le Muséum de Paris de plus de trois cents objets, chefs-d’oeuvre de l’ancienne et nouvelle Italie, et qu’il a fallu trente siècles pour produire... »
La nouvelle campagne va s’ouvrir.
Point n’est question, cette fois, de se comporter comme en pays conquis. Les Français en progressant vers le centre de la mosaïque autrichienne trouveront « un brave peuple accablé par la guerre qu’il a eue contre les Turcs, et par la guerre actuelle ». Selon le général en chef, les habitants des états autrichiens gémissent victimes « de l’aveuglement » et de « l’arbitraire » de leur gouvernement. Sans rire, Bonaparte essaye de faire croire à ses hommes qu’il n’y a pas un sujet de l’empereur François qui ne soit convaincu que l’or de l’Angleterre a corrompu les ministres viennois !
— Vous respecterez leur religion et leurs moeurs, recommande-t-il aux vainqueurs de l’Italie ; vous protégerez leurs propriétés : c’est la liberté que vous apportez à la brave nation hongroise !
Le 12 mars, en dépit d’un temps exécrable, – on se trouve en ventôse, le bien nommé – l’armée suivant son chef, remonte la vallée de la Piave. La rivière a quitté son lit et est devenue torrent. Bonaparte et ses hommes franchissent l’obstacle, de l’eau jusqu’aux aisselles, – « en se donnant le bras », nous dit l’adjudant Dupin – et poursuivent l’Archiduc qui s’est replié vers la Tagliamento. Le fleuve – il donnera bientôt son nom à un département franco-italien, chef lieu Trévise... – est d’une largeur de huit cents à neuf cents mètres, et ses eaux sont en crue. Des aides de
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