Comment vivaient nos ancêtres
il « prend » du tabac ! C’est à la même époque qu’un rimailleur du dimanche, M. de L’Attaignant, chanoine de son état, écrit quelque texte où il égratigne le comte de Clermont-Tonnerre. Le ton monte entre les deux hommes et leurs avocats. Le chanoine persiste et se défend en écrivant une chanson. Il y raconte une rencontre avec Clermont-Tonnerre et se vante de lui refuser la marque de la plus élémentaire courtoisie qui n’est autre, signe des temps, qu’une prise de tabac. Et de le narguer plus encore dans le refrain que nous avons tous chanté sans en connaître l’histoire :
J’ai du bon tabac Dans ma tabatière
J’ai du bon tabac
Tu n’en auras pas !
Tout le monde se met donc à priser. Les femmes les plus intrépides ou les plus raffinées s’y essayent à leur tour et l’on raconte que la duchesse de Bourgogne est morte empoisonnée (volontairement ?) d’une « overdose ». Partout on vend du tabac, soit avec râpe soit déjà en poudre (« la râpée ») que l’on continue à « prendre », et non à fumer, jusqu’au milieu du XIX e siècle. Petit à petit s’ouvrent à Paris des « tabagies » où les hommes du peuple s’entassent pour fumer en dilapidant leurs gages. Dans toutes les couches sociales, à la fin de l’Ancien Régime, on prise, on fume, on chique, au point que certains cahiers de doléances se plaignent du prix trop élevé du tabac, dont Colbert a évidemment pensé à faire un monopole d’État.
Au XIX e siècle, la pipe revient en faveur, surtout les « pipes à tête » représentant les personnalités de l’époque. Elles sont un excellent baromètre de popularité. M. Persil, ministre de la Justice et des Cultes sous la monarchie de Juillet, complètement oublié aujourd’hui, peut mesurer sa cote de popularité sans avoir à procéder à des sondages, d’ailleurs inconnus. Il lui suffit de se promener dans Paris et d’observer les pipes des passants. Avec le médecin de la duchesse de Berry, il pulvérise tous les records.
Le tabac doit cependant beaucoup aux guerres. Celle de Trente Ans diffuse la prise et celle de Crimée la cigarette, venue du Brésil par l’Espagne. Sous le Second Empire, tout Paris fume. C’est l’époque où les Anglais inventent le « smoking » et où l’on trouve des « calottes de fumeurs » pour éviter que les cheveux ne s’imprégnent de l’odeur du tabac. Déjà en 1868 se crée la première Association française contre l’abus du tabac.
Pourtant, que ce soit sous forme de cigarette (surtout en ville) ou de pipe, les Français s’obstinent. Les usines Gambier fabriquent trente millions de pipes par an vers 1860, toujours « illustrées ». Cinquante-sept mille six cents exemplaires ont la tête de M. Thiers, quarante-trois mille deux cents celle de Gambetta et plus tard quatre-vingt-huit mille celle de Jules Grévy !
À la campagne, les bureaux de tabac s’ajoutent aux cafés. Selon une vieille habitude, les feuilles de tabac sont souvent vendues roulées et donnent ainsi l’impression d’un gros saucisson ou d’une carotte. Épiceries et apothicaires, qui avaient été autrefois les premiers à en vendre, ont donc pensé à se signaler à leurs clients en accrochant une belle carotte fraîchement tirée du jardin et qui, plus tard, va se styliser…
« COMME VA LA PANSE, VA LA DANSE » :
D’UN SCANDALE À L’AUTRE
Le dimanche est consacré à tout un éventail de jeux. Nous avons vu nos ancêtres jouer à la soule, au risque de s’y faire fendre le crâne, sur la place du village ou près de quelque mare, et jouer aux dés ou aux cartes au cabaret, dans des parties qui elles aussi se terminent souvent par des rixes violentes. Les quilles sont très populaires, tout comme le billard, d’abord pratiqué par terre, en poussant la boule d’une pièce de bois en longueur (une « bille », d’où son nom), avant que n’apparaissent les « billards montés » sur pieds. Entre jeunes, on se livre volontiers à divers jeux de société : colin-maillard, la pucelle, la chèvre, etc. Mais la distraction favorite est sans aucune doute la danse. Il faut dire que les repas étant nettement plus copieux qu’en semaine, avec vins et viandes grasses, il leur faut bien un peu d’exercice. D’ailleurs, l’adage le dit lui-même : « Comme va la panse, va la danse. »
Où dansent-ils ? À l’auberge, bien sûr, au son de quelque accordéon, cabrette, cornemuse, vielle.
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