Duel de dames
époux
ont été terribles tous ces derniers jours.
Catherine adorait coiffer sa « petite sœur »
depuis l’enfance. Elle ne laissait à aucune des chambrières le soin de s’occuper
de cette lourde chevelure, d’un noir de jais luisant.
— Te souviens-tu, Isabelette, quand nous nous
sommes connues ?
— Non, répondit celle-ci en souriant. Pour
moi, tu as toujours été là.
— Il est vrai que tu étais bien jeune, souligna
Catherine en enroulant les nattes en longues volutes qui encadraient les joues
de son amie.
C’était une coiffure simple et élégante, dite à la
Byzantine.
— J’avais deux ans de plus que toi, continua
Catherine de Fastavavin. Je m’en souviens car j’étais terrifiée, j’avais
cinq ans, je pleurais, hurlante et morveuse dans les jupes de ma nounou. J’étais
une orpheline d’une famille de petite noblesse tombée en dérogeance, donnée
comme demoiselle de compagnie à la princesse Isabelle Wittelsbach Visconti d’Ingolstad,
ainsi qu’un jouet. Ma nourrice allait m’abandonner dans ce vieux château qui m’apparaissait
comme un ogre gigantesque où j’allais être dévorée. Je ne fus pas ton jouet
mais ta sœur, et nous y avons été élevées comme des sœurs.
— Et nous y avons vécu si insouciantes, si
complices, si confiantes en l’avenir. Nous étions dans l’ivresse de la liberté.
— Surtout après la mort de ta mère, Thadée
Visconti, qui cherchait sans cesse à nous découvrir des vices, et qui nous
obligeait à des oraisons interminables.
— J’en ai encore des douleurs dans les genoux,
et du froid dans les membres, éclata de rire Isabelle.
Elle regarda sa chambellane dans le miroir, et lui
trouva une mine triste de dépit.
Catherine de Fastavavin avait vingt ans et
était trois fois veuve. Elle s’était juré de ne plus jamais se remarier, persuadée
qu’une malédiction frappait ses époux. Mais elle était belle, songea la reine, sa
chevelure, couleur des blés de juillet, encadrait un visage très fin en forme
de triangle, mangé par des yeux immenses d’un bleu soutenu. Peut-on dire jamais
quand on est encore en pleine jeunesse ? Catherine retrouverait-elle le
bonheur ? Son dernier mariage avait été le plus éprouvant. Veuve depuis
peu de Morel de Campremy, le roi avait décidé de la remarier au sire de Hainceville
un peu trop « célibataire ». Hainceville lui avait proposé un curieux
contrat : « Vous serez mon épouse, et jouirez de tous mes biens, mais
notre compagnie s’arrêtera aux courtines de votre lit. » Cet arrangement
ne dura que six mois, il était mort d’un mauvais coup au cours d’une rixe dans
le quartier de la bougrerie [32] de Paris, l’été
dernier, et complètement ruiné.
— T’arrive-t-il de regretter ce temps ? demanda
la chambellane, tout en enserrant le front d’Isabelle d’une bande d’orfroi
par-dessus le léger voile miroitant qui retombait sur ses épaules nues.
— Notre enfance ? Tous les jours, murmura
la princesse de Bavière. Souviens-toi combien je fus désespérée quand j’appris,
à mon arrivée au pèlerinage d’Amiens, que je serais reine de France dans les
deux jours.
— Tu étais si jeune, encore impubère, et
Thadée t’avait tenue ignorante des contingences du mariage.
Isabelle ne voulait pas se rappeler la nuit de
noces horrifique. Elle écouta un instant le babillage de ses atourneresses qui
apprêtaient sa parure. Elle avait choisi une robe de dessus en satin cobalt, moirée
de violet comme l’éclat de ses yeux. Une robe qui découvrait la naissance de sa
poitrine soulignée de petit vair bordant le décolleté, ainsi que les bords des
longues manches traînantes, échancrées à l’écrevisse. Une ceinture à multiples
pendentifs en joyaux serait ses seuls ornements précieux, avec la bourse
maillée d’or, de rubis et de lapis-lazuli, qui s’y accrochait.
Catherine de Fastavavin parlait toujours de
leur enfance, plongée en pleine nostalgie. Isabelle frappa dans ses mains :
il fallait se vêtir pour ce petit souper qui l’angoissait tant.
*
Charles avait voulu que le souper se tienne dans la
galerie dite « aux Courges » qu’il affectionnait particulièrement. Elle
était de modestes dimensions, et s’ornait en son long de fresques foisonnantes
de légumes, fruits et fleurs, mêlés à des insectes et autres papillons, où
dominaient les images de l’imposante cucurbitacée d’un orange cru qui lui
valait son
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