Faubourg Saint-Roch
la fillette contre lui, Thomas se releva au moment où Elisabeth arrivait à son tour au bas de l'escalier.
— Bonjour, Monsieur. J'espère que votre voyage s'est bien déroulé.
— Oui, très bien, merci.
— En avez-vous tiré tous les résultats escomptés ?
— ... Oui, je crois.
La question de son employée troubla un moment le commerçant. L'empressement d'Edouard à entraîner son père vers la salle à manger lui procura une heureuse diversion. En s'engageant dans le couloir, Eugénie expliqua d'une petite voix:
— Je suis allée voir maman tout à l'heure. Elle ne pourra pas descendre.
— Tu sais, ma belle, je ne suis pas vraiment surpris. Tu te souviens de la dernière fois où elle a célébré un anniversaire avec nous ?
— ... Non.
Thomas croisa les yeux d'Elisabeth à ce moment, incapable de dissimuler son profond agacement. En entrant dans la salle à manger, il précisa :
— C'est pour cela que j'ai demandé à mademoiselle Trudel de se joindre à nous. Je suis certain qu'il ne convient pas que les convives se trouvent en nombre impair à table, le jour d'un anniversaire.
Si Eugénie ne se souvenait pas d'avoir entendu quoi que ce soit allant en ce sens, elle préféra rester muette sur la question. Un moment plus tard, le quatuor prenait place à une extrémité de la longue table, Thomas au bout, la fillette à sa droite, le garçon à sa gauche. La préceptrice s'assit à côté de ce dernier, certaine d'avoir à prévenir de petits dégâts.
Près de l'assiette du fêté, deux jolies enveloppes portant son nom attirèrent son attention.
— Du courrier pour moi ?
Edouard lui adressa un grand signe affirmatif de la tête, alors qu'Eugénie rougissait en posant ses grands yeux sur lui. L'homme ouvrit la première, lut à haute voix: «Très cher papa, bon anniversaire ! Votre fille qui vous aime, Eugénie. » Deux « X » précédaient la signature.
— C'est très gentil, ma grande, ajouta Thomas en se penchant pour l'embrasser, et la prochaine fois que j'irai en voyage, je t'écrirai, c'est promis... Et je parie que cette deuxième enveloppe contient une lettre venue d'un homme. Le «papa» est très... masculin.
« Bonne fête, papa », commença-t-il, puis il enchaîna après une pause, une expression de surprise sur le visage: «etc., etc. »
— Merci, Edouard, tu écris très bien.
Une accolade très virile s'ensuivit. Un instant plus tard, Joséphine entrait dans la pièce, sa lourde soupière dans les mains. Son visage exprimait toute sa désapprobation de voir la préceptrice partager le repas d'anniversaire de son maître. Son sens des convenances se trouvait ébranlé. Toutefois, sauf en la servant la dernière avec une ostentation délibérée, elle ne pouvait exprimer son désaccord.
Le repas se déroula sans accroc, au son du babillage des enfants. Après un dessert copieux, Elisabeth fit observer :
— Il faudrait songer à aller au lit. Il se fait tard.
— Non, pas déjà, protesta Edouard. Regarde dehors, il fait encore clair.
— C'est vrai, observa son père en tirant sa montre de son gousset, mais regarde : il sera bientôt neuf heures.
Puisque le petit mécanisme enfermé dans un disque doré l'affirmait, le garçon n'osa pas protester. Sans trop se faire prier, le gamin s'engagea dans l'escalier quelques minutes plus tard, Eugénie sur les talons. Au moment où Elisabeth leur emboîtait le pas, le commerçant lui demanda :
— Mademoiselle, pourriez-vous descendre tout à l'heure ? J'aimerais parler avec vous.
— Bien sûr. Je reviens dès que les enfants seront au lit.
Thomas n'eut pas à attendre trop longtemps. A cause de l'heure tardive, la jeune femme priva les enfants de leur moment habituel de lecture. À neuf heures trente, alors que l'obscurité descendait sur la Basse-Ville, Elisabeth entra dans la bibliothèque.
— Asseyez-vous, dit son patron en mettant de côté le dernier numéro du Soleil. J'ai demandé à Joséphine de vous préparer du thé.
— Merci.
Quant à lui, il s'était versé un cognac. Le verre se trouvait sur un guéridon, à portée de main.
—Je vous félicite pour votre excellent travail, commença-t-il en tirant de la poche intérieure de sa veste les mots reçus des enfants. Eugénie a déjà une jolie main d'écriture.
— Elle est très appliquée, toujours prête à apprendre quelque chose
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