Fiorinda la belle
aussi sombre on croirait que ce mariage n’est pas de votre goût.
– On ne se tromperait guère, monsieur, avoua nettement Ferrière.
– Ce mariage ne vous convient pas ? s’écria le vidame stupéfait.
– Pas le moins du monde, répéta Ferrière avec plus de force.
– En quoi ? Voyons, parlez, expliquez-vous.
– Une bâtarde, monsieur, car M me Claude n’est qu’une bâtarde.
– Légitimée, vicomte, ne l’oubliez pas, légitimée par le feu duc Claude avant sa mort.
– Je ne la connais pas, je ne l’ai jamais vue, je ne l’aime pas… et je sens que je la détesterais si j’étais obligé de la prendre pour femme. »
Le vidame regarda son fils avec cet air de commisération un peu étonné qu’on prend devant une personne qui divague.
« Vous parlez comme un enfant qui ne sait rien de la vie, dit-il. Est-il besoin de se connaître et de s’aimer ? Mais moi non plus je n’aimais pas madame votre mère. Nous ne nous étions jamais vus quand on nous a mariés. Nous nous sommes inclinés devant la décision de nos parents. Et nos parents n’ont pris cette décision qu’à bon escient et en toute connaissance de cause. L’amour est venu plus tard.
– Mon cœur est pris, monsieur, il s’est donné une fois et ne se reprendra jamais. J’aime, monsieur, comprenez-vous ? Et c’était pour vous dire cela que je vous avais prié de m’accorder un entretien. J’aime, monsieur, et dans cet amour j’ai mis l’espoir de toute ma vie. J’aime et, malheureusement, je suis, je le sens, de ceux qui ne se donnent qu’une fois dans leur vie. Et je me suis donné, monsieur, cœur, corps, âme, esprit, tout, tout. Voudrez-vous faire le malheur de ma vie en m’imposant une union qui m’est odieuse ? Non, vous ne le voudrez pas, mon père, car vous m’aimez. Or, sachez-le, et vous pouvez me croire, vous savez que je ne mens jamais, si je ne puis prendre pour femme celle que j’aime, nulle autre ne m’aura, car je mourrai, monsieur. »
Il s’était animé. Le désespoir lui avait donné le courage de tenir tête à son père. La passion avait été plus forte que la crainte et le respect, et il avait dit ce qu’il avait sur le cœur tout d’une traite.
Le vidame ayant baissé sa tête vénérable, son opulente barbe blanche étalée en flots d’argent sur le velours sombre du pourpoint, se disait avec horreur que ce serait lui, le père, qui serait cause et de la mort et de la damnation de son fils. Et cela pour avoir ambitionné un accroissement de puissance et de grandeur de sa maison. Il se dit cela et il n’hésita pas. Et redressant sa belle tête attristée :
« J’avais rêvé, dit-il, de voir notre maison s’allier à une maison royale. Vous ne le voulez pas. C’est bien, n’en parlons plus. J’irai trouver Mgr le duc, je lui expliquerai… C’est moi qui lui avais pour ainsi dire imposé ce mariage… J’espère qu’il ne fera aucune difficulté pour me rendre ma parole… d’autant plus que je n’en demeurerai pas moins un de ses partisans… Êtes-vous satisfait, vicomte ? »
Ferrière était stupéfait de la facilité de sa victoire. Il regardait son père avec des yeux fous. Et comme s’il ne pouvait en croire ses oreilles, il balbutia :
« Quoi, monsieur, vous avez cette bonté de consentir ?…
– Eh ! fit le vidame avec une brusquerie affectée, je ne veux pas que vous mourriez, moi. »
Ferrière se précipita aux genoux de son père et saisit sa main, qu’il porta respectueusement à ses lèvres :
« Ah ! mon père ! s’écria-t-il d’une voix que la joie faisait trembler, c’est maintenant que je vois combien vous m’aimez ! Car, je le sens, vous me faites un grand sacrifice en renonçant à cette union.
– Dites un sacrifice immense, vicomte, fit le vidame avec une pointe d’amertume. Mais il faut bien que nous, les vieux, nous sachions nous sacrifier à nos enfants puisqu’ils refusent d’entendre la voix de la raison. »
Il demeura un moment pensif, poussant des soupirs.
Ferrière, qui s’était redressé et se tenait respectueusement debout devant lui, se garda bien de troubler sa méditation.
Au bout d’un instant de silence, le vidame reprit la conversation.
« Voyons, vicomte, parlez-moi maintenant de celle que vous avez choisie et sans qui la vie, pour vous, serait sans charme. »
On pense bien que notre amoureux ne se fit pas prier. Et il entama un interminable couplet de louanges
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