Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
d’enterreurs : elle ne suffit pas encore à
l’œuvre ; on entasse les corps en
montagne
républicaine.
Enfin Carrier trouve un tombeau assez profond
dans les gouffres de la Loire ; il invente les
noyades.
Tout tremblait devant ce monstre, même cette
intrépide garde nationale de Nantes, qui avait repoussé cent mille
Vendéens. La Montagne (club démagogique s’il en fut) eut l’honneur
d’être dissoute par Carrier, pour avoir demandé qu’on essuyât mieux
la guillotine et qu’on attachât les chiens qui allaient dévorer les
cadavres.
Le 22 janvier 1794, la peste est dans les
prisons et va gagner toute la ville : « Bravo, dit
Carrier ; en avant les noyades ! » – Quelques
incrédules ont nié ces abominations. Qu’ils lisent Mellinet, et
qu’ils consultent le greffe de Nantes. – Cependant les épidémies
les plus terribles passaient des prisons à la ville ; les
chiens devenaient enragés en dévorant la chair humaine.
Arrêtons-nous, et reposons nos yeux sur les
hommes de cœur qui osèrent lever la tête quand tous étaient courbés
sous l’asservissement le plus abominable. Citons d’abord l’officier
républicain Hugo, père du fameux poëte contemporain. – Carrier
avait ordonné de massacrer au château d’Aux sept à huit cents
paysans de Bougenais qui venaient de se rendre sur la foi d’une
amnistie : Hugo défend à ses soldats d’obéir au
proconsul ; mais ils craignent de jouer ainsi leurs
têtes ; il proteste, il lutte contre eux, et ne se retire que
devant la force, en disant : « Vous n’êtes plus mes
soldats, vous êtes les soldats de Carrier ! » Rappelons
encore, entre autres, l’acteur Gourville, qui sauva quatre cents
prêtres ; le ciseleur Boivin, commandant temporaire de la
ville, qui foula aux pieds un ordre de massacre, en disant :
« Je suis soldat pour me battre avec l’ennemi, et non point
pour massacrer mes compatriotes ; » le général Haxo, qui
refusa péremptoirement d’être le complice de Carrier ; les
femmes de la halle, qui arrachèrent à la guillotine et adoptèrent
une multitude d’enfants, et tant d’autres.
Mais l’adversaire de Carrier le plus intègre,
le plus opiniâtre, et en même temps le plus habile et le plus
redoutable, fut le célèbre Boulay-Paty, sénéchal de Paimbœuf en
1788, administrateur de la Loire-Inférieure en 1793. C’était un
républicain pur et désintéressé, un homme véritablement antique par
la science, par le courage et par la vertu… La lutte commença le
jour même de l’arrivée de Carrier. Puis vinrent la disette et
l’affaire des grains, où Boulay-Paty défendit jusqu’à l’extrémité
les négociants de Nantes. Les voyant incarcérer malgré ses efforts,
il s’adressa avec ses collègues à la Convention : c’était
jouer doublement sa vie. Désarmé par la loi du 14 frimaire, qui
enlevait au département les mesures de sûreté, Boulay-Paty n’en
continua que plus vivement sa résistance. Il se posa l’accusateur
de Carrier devant le tribunal révolutionnaire de Paris ; ce
fut la première pierre qui brisa les pieds d’argile de ce colosse
de la Terreur. Boulay-Paty n’avait alors que trente ans.
Que pouvaient faire les derniers Vendéens aux
prises avec les noyeurs de Carrier et les colonnes infernales de
Turreau ? Ceux qui se rendaient mouraient comme ceux qui
continuaient de se battre : mieux valait encore le champ de
bataille ! Les gars reprennent leurs armes et s’élancent avec
Charette, Stofflet et La Rochejacquelein. Jamais ce dernier n’avait
joué sa vie avec une telle audace ; il cherchait donc la
mort ? Il la trouva le 29 janvier 1794. Ses soldats allaient
tuer deux grenadiers bleus surpris dans un champ :
« Arrêtez ! s’écrie le héros. – Rendez-vous, dit-il aux
grenadiers, je vous fais grâce. » Mais un de ces forcenés a
entendu prononcer le nom de La Rochejacquelein ; il tire, et
le tue à dix pas. – La Convention, qui comptait alors plus de neuf
cent mille soldats, fit vérifier le cadavre de celui qui avait été
si longtemps son épouvante. « Ce héros n’avait que vingt-un
ans, s’écrie Napoléon ; qui sait ce qu’il fût
devenu ? »
La république, délivrée de La Rochejacquelein,
se débarrassa aussitôt de Carrier. Le proconsul quitta Nantes le 14
février, pour aller porter sa tête à Robespierre. – Stofflet
succéda à La Rochejacquelein, sans le remplacer. Désormais la
Vendée, sous Charette et
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