Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
elles ne sont point de nature à pouvoir être raisonnablement
adoptées. Galère, dit-on, d’après les villes de l’Orient qu’il connaissait,
s’était formé une idée fort imparfaite de la grandeur de Rome et il ne se
trouva pas en état d’entreprendre le siége de l’immense capitale de l’empire. Mais
l’étendue d’une place ne sert qu’à la rendre plus accessible à l’ennemi. Depuis
longtemps Rome était accoutumée à se soumettre dès qu’un vainqueur s’approchait
de ses murs ; et l’enthousiasme passager du peuple aurait bientôt échoué
contre la discipline et la valeur des légions. On prétend aussi que les soldats
eux-mêmes furent frappés d’horreur et de remords, et que ces enfants de la
république, pleins de respect pour leur antique mère, refusèrent d’en violer la
sainteté [1256] .
Mais lorsqu’on se rappelle avec quelle facilité l’esprit de parti et l’habitude
de l’obéissance militaire avaient, dans les anciennes guerres, armé les
citoyens contre Rome, et les avaient rendus ses ennemis les plus implacables,
on est bien tenté d’ajouter peu de foi à cette extrême délicatesse d’une foule
d’étrangers et de Barbares, qui, avant de porter la guerre en Italie, n’avaient
jamais aperçu cette contrée. S’ils n’eussent pas été retenus par des motifs
plus intéressés, leur réponse à Galère eût été celle des vétérans de César : Si
notre général désire nous mener sur les rives du Tibre, nous sommes prêts à
tracer son camp. Quels que soient les mûrs qu’il veuille renverser, il peut
disposer de nos bras ; ils auront bientôt fait mouvoir les machines. Nous
ne balancerons pas, la ville dévouée à sa colère fût-elle Rome elle-même .
Ce sont, il est vrai, les expressions d’un poète ; mais ce poète avait
étudié attentivement l’Histoire, et on lui a même reproché de n’avoir point osé
s’en écarter [Lucain, Phars. , I, 381] .
Les soldats de Galère donnèrent une bien triste preuve de
leurs dispositions par les ravages qu’ils commirent dans leur retraite. Le
meurtre, le pillage, la licence la plus effrénée, marquèrent partout les traces
de leur passage. Ils enlevèrent les troupeaux des Italiens ; ils
réduisirent les villages en cendres ; enfin ils s’efforcèrent de détruire
le pays qu’il ne leur avait pas été possible de subjuguer. Pendant toute la
marche, Maxence harcela leur arrière-garde ; il évita sagement une action
générale avec ses vétérans braves et désespérés. Son père avait entrepris un
second voyage en Gaule, dans l’espoir d’engager Constantin, qui avait levé une
armée sur la frontière, à poursuivre l’ennemi, afin de compléter la victoire.
Mais la prudence et non le ressentiment dirigeait toutes les actions de
Constantin. Il persista dans la sage résolution de maintenir une balance égale
de pouvoir entre les divers souverains de l’empire. Il ne haïssait déjà plus
Galère depuis que ce prince entreprenant avait cessé d’être un objet de terreur [1257] .
L’âme de Galère, quoique susceptible des passions les plus
violentes, n’était point incapable d’une amitié sincère et durable. Licinius,
qui avait a peu près les mêmes inclinations et le même caractère, paraît avoir
toujours eu son estime et sa tendresse. Leur intimité avait commencé dans les
temps peut-être plus heureux de leur jeunesse et de leur obscurité.
L’indépendance et les dangers de la vie militaire avaient cimenté cette
première union ; et ils avaient parcouru d’un pas presque égal la carrière
des honneurs attachés à la profession des armes. Il parait que Galère, du
moment où il fut revêtu de la dignité impériale, forma le projet d’élever un
jour son compagnon au même rang. Durant le peu de temps que dura sa prospérité,
il ne crût pas le titre de César digne de l’âge et du mérite de Licinius ;
il lui destinait la place de Constance avec l’empire de l’Occident. Tandis,
qu’il s’occupait de la guerre d’Italie, il envoya son ami sur le Danube pour
garder cette frontière importante. Aussitôt après cette malheureuse expédition
Licinius monta sur le trône vacant par la mort de Sévère, et il obtint le
gouvernement immédiat des provinces de l’Illyrie [1258] . Dès que la
nouvelle de son élévation fut parvenue en Orient, Maximin, qui gouvernait ou
plutôt opprimait l’Égypte et la Syrie, ne put dissimuler sa jalousie et son
mécontentement.
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