Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
être
considéré comme l’état qui approchait le plus de la perfection divine. C’était
avec la plus grande difficulté que l’ancienne Rome avait pu soutenir
l’institution de six vestales [1444] .
L’Église primitive se trouva tout à coup remplie d’une foule de personnes de
l’un et de l’autre sexe, qui se dévouaient à une chasteté perpétuelle [1445] . Un petit
nombre, parmi lesquels nous pouvons compter le savant Origène, jugèrent plus
prudent de désarmer le tentateur [1446] .
Quelques-uns se montraient insensibles, d’autres invincibles aux attaques de la
chair. Dédaignant une fuite ignominieuse, les vierges nées sous le climat
brûlant de l’Afrique ne craignaient pas de se mesurer avec l’ennemi, et de
braver les plus grands dangers ; elles permettaient aux diacres et aux
prêtres de partager leur lit et elles se glorifiaient d’une vertu qui échappait
à tous les feux de l’impureté. Mais la nature insultée revendiquait souvent ses
droits ; et cette nouvelle espèce de martyre ne servit qu’à introduire un
nouveau scandale dans l’Église [1447] .
Parmi les chrétiens ascétiques (nom qu’ils tirèrent bientôt de ces pénibles
exercices), plusieurs, moins présomptueux obtinrent probablement plus de
succès. L’orgueil spirituel suppléait aux plaisirs sensuels, et en compensait
la perte. La multitude même des païens se trouvait disposée à apprécier le
mérite du sacrifice par sa difficulté apparente ; et c’est pour célébrer
les louanges des chastes épouses de Jésus-Christ que les pères ont versé des
flots impétueux d’une éloquence un peu confuse [1448] . Telles sont
les premières traces des principes et des institutions de la vie monastique,
principes qui, dans les siècles suivants, ont contrebalancé les avantages
temporels du christianisme [1449] .
Les chrétiens ne fuyaient pas moins les affaires que les
plaisirs de ce monde. Ils ne savaient comment concilier la défense de nos
personnes et de nos propriétés, avec la doctrine patiente qui prescrit le
pardon illimité des injures reçues, et qui ordonné de rechercher de nouvelles
insultes. Leur simplicité s’offensait de l’usage des serments, de la pompe de
la magistrature, et de l’activité des débats dont se compose la vie publique.
Humains et ignorants, ils ne pouvaient se persuader qu’il fût légitimement permis
déverser, par le glaive de la justice ou par l’épée de la guerre, le sang de
ses semblables, même lorsque les forfaits des scélérats ou les attaques de
l’ennemi menaçaient la paix et la sûreté de toute la société [1450] . On
reconnaissait, que parmi les Juifs, sous une loi moins parfaite, des prophètes
inspirés et des rois qui avaient reçu l’onction sacrée, avaient, avec
l’approbation divine, exercé tous les pouvoirs que leur donnait la constitution
de leur pays. Les chrétiens sentaient et avouaient que de pareilles
institutions pouvaient être nécessaires dans le système présent du monde, et
ils se soumettaient sans répugnance à l’autorité d’un maître idolâtre. Mais en
inculquant des maximes d’obéissance passive, ils refusaient de prendre part à
l’administration civile ou à la défense militaire de l’empire. On pouvait avoir
quelque indulgence pour ceux qui, avant leur conversion, s’étaient déjà trouvés
engagés dans ces occupations violentes et sanguinaires [1451] ; mais les
chrétiens à moins de renoncer à l’exercice d’un devoir plus sacré, ne pouvaient
se soumettre aux fonctions de soldats, de magistrats ou de princes [1452] . Cette
indifférence indolente ou même criminelle pour le bien public les exposait au
mépris et aux reproches des païens. On demandait aux partisans de la nouvelle
secte quel serait le destin de l’empire, assailli par les Barbares, si tous les
sujets adoptaient des sentiments si pusillanimes [1453] . A cette
question insultante les apologistes du christianisme répondaient en mots
obscurs et équivoques [1454] .
Tranquilles dans l’attente qu’avant la conversion totale du genre humain, la
guerre, le gouvernement, empire romain, le monde lui-même, ne seraient plus,
ils ne voulaient pas révéler aux idolâtres cette cause secrète de leur
sécurité. On peut encore observer ici que la situation des premiers chrétiens
se rapportait fort heureusement à leurs scrupules religieux, et que leur
aversion pour une vie active contribua plutôt à les détourner de servir l’État
ou
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