Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
engager à racheter leurs frères de
Numidie qui avaient été emmenés captifs par les Barbares du désert, tira sur le
champ d’une société moins opulente que celle de Rome, cent mille sesterces,
environ huit cent cinquante livres sterling [1488] . Cent ans
auparavant, une somme de deux cent mille sesterces avait été présentée en un
seul don à l’Église romaine par un étranger du Pont, qui demanda à fixer sa
résidence dans la capitale [1489] .
Ces offrandes, pour la plupart, consistaient en argent ; les chrétiens
n’avaient ni le désir ni le pouvoir de se charger d’une acquisition un peu
considérable en terres. Il avait été décidé par plusieurs lois, publiées dans
le même esprit que nos règlements concernant les gens de mainmorte, que l’on ne
pourrait donner ni léguer à une société formant corps dans l’État, aucun bien
réel sans un privilège spécial ou sans une dispense particulière du sénat ou de
l’empereur [1490] ,
et ceux-ci furent rarement disposés à favoriser une secte qui, après avoir été
l’objet de leur mépris, avait enfin excité leur crainte et leurs soupçons.
Cependant un fait arrivé sous le règne d’Alexandre Sévère prouve que ces
règlements furent quelquefois éludés ou suspendus, et que les chrétiens eurent
la permission de réclamer et de posséder une pièce de terre située dans les
limites de Rome elle-même [1491] .
Les progrès du christianisme et les discordes civiles, de l’empire
contribuèrent à tempérer la sévérité des lois ; et avant la fin du
troisième siècle, plusieurs terres considérables avaient passé aux Églises
opulentes de Rome, de Milan, de Carthage, d’Antioche, d’Alexandrie, et des
autres grandes villes de I’Italie et des provinces.
L’évêque était l’intendant naturel de l’Église : il
disposait du trésor public à sa volonté et sans être obligé de rendre compte.
Ne laissant aux prêtres que leurs fonctions spirituelles, il confiait seulement
à l’ordre plus subordonné des diacres la direction et la distribution du revenu
ecclésiastique [1492] .
Si nous pouvons ajouter foi aux déclamations véhémentes de saint Cyprien,
l’Afrique ne renfermait qu’un trop grand nombre de prélats qui, dans l’exercice
de leurs fonctions, violaient non seulement tous les préceptes de la perfection
évangélique, mais encore ceux de la morale. Quelques-uns de ces intendants
infidèles dissipaient les richesses de l’Église pour satisfaire à leurs
plaisirs sensuels ; d’autres les faisaient indignement servir à leur
profit particulier, à des marchés frauduleux et à des usures exorbitantes [1493] . Mais tant que
les contributions du peuple chrétien furent libres et volontaires, l’abus de
leur confiance ne pouvait être bien fréquent ; les usages auxquels on
consacrait généralement leur libéralité, honoraient la société religieuse.
L’évêque et son clergé avaient une part convenable pour leur entretien. On
réservait une somme suffisante pour les dépenses qu’exigeait le culte public,
dont les repas de fraternité, les agapes comme on les appelait alors,
constituaient une partie très agréable. Le reste était le patrimoine sacré des
pauvres. On s’en remettait à la discrétion de l’évêque pour ouvrir le trésor de
l’Église aux veuves, aux orphelins, aux boiteux, aux malades et aux vieillards
de la communauté, pour soulager les étrangers et les pèlerins, et pour adoucir
les maux des prisonniers et des captifs, surtout lorsque leurs souffrances
avaient été occasionnées par un ferme attachement à la cause de la religion [1494] . Un commerce
généreux de charité unissait les provinces les plus éloignées, et de petites
congrégations trouvaient des ressources abondantes dans les aumônes des
sociétés plus opulentes, qui subvenaient avec joie aux besoins de leurs frères [1495] . Cette noble
institution, qui avait moins égard au mérite qu’à la misère de l’objet,
contribua beaucoup aux progrès du christianisme. Ceux des païens qu’animait un
sentiment d’humanité, en ridiculisant la doctrine de la nouvelle secte, rendaient
justice à sa bienfaisance [1496] .
L’espérance d’un prompt secours contre les besoins du moment, et d’une
protection pour l’avenir, attirait dans son sein charitable une foule de
malheureux que la négligence des hommes aurait laissés en proie aux horreurs de
la pauvreté, des maladies et de la vieillesse. On peut
Weitere Kostenlose Bücher