Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
fortunes
héréditaires, sous la condition peu onéreuse de tenir une maison dans la
capitale [1830] .
Ces encouragements et ces récompenses devinrent bientôt superflus et furent
supprimés peu à peu. Une grande partie du revenu public est toujours dépensée
dans la résidence du gouvernement, par le prince, par ses ministres, par les
officiers de justice, et par les officiers et les domestiques du palais. Les
plus riches habitants des provinces y sont attirés par les motifs puissants de
l’intérêt et du devoir, de la curiosité et des plaisirs. Une troisième classe
encore plus nombreuse s’y forme insensiblement, celle des domestiques, des
ouvriers et des marchands qui tirent leur subsistance de leurs propres travaux
et des besoins ou de la fantaisie de leurs supérieurs. En moins d’un siècle,
Constantinople le disputait à Rome même, pour les richesses et pour la population.
De nouveaux rangs de maisons entassées les unes sur les autres, sans égard pour
la santé ou pour la commodité des habitants, ne formaient, plus que des rues
trop étroites pour la multitude d’hommes, de chevaux et de voitures qui s’y
pressaient continuellement. L’enceinte devint insuffisante pour contenir
l’accroissement du peuple ; et les bâtiments qu’on poussa des deux côtés
jusque dans la mer auraient seuls composé une grande ville [1831] .
Les distributions fréquentes et régulières de vin et
d’huile, de blé ou de pain, d’argent ou de denrées, avaient presque dispensé du
travail les citoyens les plus pauvres de Rome. La magnificence des premiers
Césars fût à un certain point imitée par le fondateur de Constantinople [1832] ; mais
quoique sa libéralité ait excité les applaudissements du peuple, elle n’a pas
obtenu ceux de la postérité [1833] .
Une nation de législateurs et de conquérants pouvait réclamer ses droits aux
moissons de l’Afrique, qu’elle avait achetées au prix de son sang ; et
Auguste se conduisit habilement en faisant perdre aux Romains, dans les fêtes
et dans l’abondance le souvenir de leur liberté. Mais la prodigalité de
Constantin ne pouvait avoir pour excuse, ni son propre intérêt ni celui du
public. Le tribut annuel de blé, imposé sur l’Égypte en faveur de sa nouvelle
capitale, était répandu sur une populace paresseuse et insolente, aux dépens
des cultivateurs [1834] d’une province industrieuse [1835] .
Cet empereur fit encore quelques autres règlements moins blâmables, mais peu
dignes d’attention. Il divisa Constantinople en quatorze quartiers [1836] , honora le
conseil public du nom de sénat [1837] ,
accorda aux habitants les privilèges des Italiens [1838] , et, décora la
nouvelle ville du nom de colonie et de fille aînée si bien aimée de
l’ancienne Rome . La vénérable métropole conserva la suprématie légale et
reconnue, due à son âge, à son rang et au souvenir de son ancienne grandeur [1839] .
Comme Constantin pressait les constructions avec
l’impatience d’un amant, les murs, les portiques et les principaux édifices
furent achevés en peu d’années, on. selon d’autres, en peu de mois [1840] . Mais cette
diligence extraordinaire paraîtra moins incroyable, quand on saura qu’un grand
nombre de bâtiments furent finis si à la hâte et si imparfaitement qu’on eut
beaucoup de peine à les empêcher de s’écrouler sous le règne suivant [1841] . Pendant qu’ils
avaient encore la vigueur et l’éclat de la jeunesse, l’empereur se prépara à
célébrer la dédicace de sa nouvelle ville [1842] .
On peut aisément se représenter les jeux et les largesses
qui couronnèrent la pompe de cette fête mémorable. Mais, une cérémonie
singulière, et qui fut plus durable, mérite quelque attention. A chaque
anniversaire de la fondation, la statue de Constantin faite par ses ordres en
bois doré, était portée sur un char de triomphe, tenant dans sa main droite une
petite image du génie de la ville. Les gardes, dans leur plus riche appareil,
portaient des flambeaux de cire blanche, et accompagnaient cette procession
solennelle dans sa marche à travers l’Hippodrome. Quand elle arrivait vis-à-vis
du trône l’empereur régnant se levait saluait avec l’air du respect et de la
reconnaissance, et adorait la mémoire de son prédécesseur [1843] . A la fête de
la dédicace, un édit, gravé sur une colonne de marbre, donna à Constantinople
le nom de seconde ou nouvelle Rome [1844] . Mais le nom
Weitere Kostenlose Bücher