Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
succès. La prudence de Julien l’engagea
cependant à pourvoir à la sûreté d’une frontière éloignée, toujours exposée aux
incursions des Arabes. Il laissa à Circesium un détachement de quatre mille
soldats, ce qui porta à dix mille hommes les troupes régulières de cette
forteresse importante [2746] .
Du moment où les Romains entrèrent sur le territoire [2747] d’un ennemi
célèbre par son activité et par ses ruses, l’ordre de la marche fut dirige sur
trois colonnes [2748] .
Le pins fort détachement de l’infanterie, et par conséquent la force de
l’armée, était placée au centre sous le commandement particulier de Victor,
maître général de l’infanterie. Sur là droite, le brave Nevitta menait le long
de l’Euphrate, et presqu’en vue de la flotte, une colonne formée de plusieurs
légions. La cavalerie protégeait le flanc gauche de l’armée ; Hormisdas et
Arintheus en avaient le commandement, et les singulières aventures du premier [2749] méritent d’être
remarquées. Il était Persan et prince du sang royal des Sassanides. Emprisonné
durant les troubles de la minorité de Sapor, il avait brisé ses fers et cherché
un asile à la cour de Constantin. Hormisdas excita d’abord la compassion, et
finit par acquérir l’estime de son nouveau maître. Sa valeur et sa fidélité
l’élevèrent aux premiers rangs de la carrière des armes ; et, quoique chrétien,
il s’applaudit peut-être en secret de prouver à son ingrate patrie, qu’un sujet
opprimé peut devenir le plus dangereux des ennemis. Voici quelle était la
disposition des trois colonnes principales : Lucilianus, avec un détachement
volant de quinze cents soldats armés à la légère, couvrait le front et les
flancs de l’armée ; il observait tout ce qui se montrait au loin, et se hâtait
d’instruire les généraux de l’approche de l’ennemi. Dagalaiphus et Secondinus,
duc de l’Osrhoëne, conduisaient l’arrière-garde ; le bagage marchait en sûreté
dans les intervalles des colonnes ; et, pour laisser plus de liberté aux
soldats, ou pour grossir-leur nombre aux yeux des spectateurs, les rangs
étaient si peu serrés, que, de la tête à la queue, l’armée formait une ligné
d’environ dia milles d’étendue. Julien avait fixé son poste à la tête de la
colonne du centré ; mais comme il préférait les devoirs du général à la
représentation du monarque, il se portait avec rapidité, suivi d’une petite
escorte de cavalerie légère, à ‘la tête de l’armée, à l’arrière-garde, sur les
flancs, et partout où sa présence pouvait animer ou protéger ses troupes. Le
pays qu’il traversa, du Chaboras aux terres cultivées de l’Assyrie, peut être
regardé comme une portion de ce désert de l’Arabie, dont les puissants efforts
de l’industrie humaine ne parviendraient pas à vaincre la stérilité. Il
parcourut le terrain foulé sept siècles auparavant par l’armée de Cyrus le
jeune, et décrit par l’un de ceux qui l’accompagnèrent, le sage et magnanime
Xénophon [2750] .
Le pays offrait de tous côtés une plaine aussi unie que la mer, et remplie
d’absinthe ; le petit nombre d’arbrisseaux et de broussailles qu’on y trouvait
d’ailleurs, avaient une odeur aromatique ; mais on n’y voyait aucune espèce
d’arbres. Les outardes et les autruches, les gazelles et les onagres [2751] , semblaient
être les seuls, habitants de ce désert, et les plaisirs de la chasse
diminuaient la fatigue de la route. Le sable sec et léger du désert, élevé
par le vent, formait des tourbillons de poussière, et un ouragan subit
renversait tout à coup les tentes et les soldats d’une partie de l’armée .
Les plaines sablonneuses de la Mésopotamie étaient
abandonnées aux gazelles et aux onagres du désert ; mais des villes très
peuplées et de jolis villages couvraient les bords de l’Euphrate et les îles
que forme ce fleuve. La ville d’Annah ou Anatho [2752] , résidence
actuelle d’un émir arabe, est composée de deux longues rues ; son enceinte, que
la nature elle-même a fortifiée, renferme une petite île, et un terrain fertile
et assez considérable, sur l’un et l’autre côté de l’Euphrate. Les braves
habitants d’Anatho montraient quelques dispositions à arrêter la marche de
Julien ; mais les douces remontrances du prince Hormisdas, la vue effrayante de
la flotte et de l’armée qui s’approchaient, les détournèrent de ce fatal
dessein. Ils
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