Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
l’amour.
Lorsque l’armée traversait des terrains inondés, il marchait à pied à la tête
des légions ; il partageait leurs fatigues, il excitait leur ardeur. Toutes les
fois qu’il s’agissait d’un travail nécessaire, il mettait avec zèle la main à
l’ouvrage, et l’on voyait la pourpre impériale humide et salie, ainsi que le
vêtement grossier du dernier des soldats. Les deux sièges lui donnèrent
plusieurs occasions de signaler une valeur que les généraux prudents ne peuvent
guère déployer, quand l’art militaire est parvenu à un certain degré de
perfection. Il se tint devant la citadelle de Perisabor, sans songer aux
dangers qu’il courait. Tandis qu’il encourageait son armée à forcer les portes
de fer, il fut presque terrassé par les armes de trait et les grosses pierres
qu’on dirigeait sur sa personne. Au siège de Maogamalcha, il examinait les
fortifications extérieures de la place, lorsque deux Persans, se dévouant pour
leur pays, tombèrent sur lui le cimeterre au poing ; il se couvrit adroitement de
son bouclier, qui reçut leurs coups ; et d’un seul des siens, dirigé d’une main
ferme et adroite, il renversa mort à ses pieds l’un de ses ennemis. L’estime
d’un souverain qui possède les vertus auxquelles il donne des éloges, est la
plus belle récompense du mérite d’un sujet ; et l’autorité que tirait Julien de
son mérite personnel, facilita le rétablissement de l’ancienne discipline. Il
punit de mort, ou par la honte, les soldats de trois cohortes de cavalerie qui
s’étaient déshonorés en perdant un de leurs étendards dans une escarmouche
contre le Surenas, et il distribua des couronnes obsidionales [2765] aux soldats qui
entrèrent les premiers dans la ville de Maogamalcha. Après le siège de
Perisabor, il eut besoin de toute sa fermeté pour réprimer la cupidité de ses
troupes, qui osaient se plaindre hautement de ce qu’on récompensait leurs
services par un misérable don de cent pièces d’argent. L’empereur, indigné,
répondit aux soldats avec la noblesse et la gravité demis premiers
Romains : Les richesses sont-elles l’objet de vos désirs ? Il a des
richesses dans les mains des Perses, et pour prix de votre valeur et de votre
discipline, on vous offre les dépouilles de leur fertile contrée. Croyez-moi ,
ajouta-t-il, la république romaine, qui jadis possédait d’immenses trésors,
se trouve dans le besoin et la détresse, depuis que des ministres faibles et
intéressés ont persuadé à nos princes de payer à prix d’or la tranquillités que
nous laissent les Barbares. Les dépenses absorbent les revenus ; les villes
sont ruinées, et la population diminue dans les provinces. Pour moi, je seul
héritage que j’aie reçu des princes mes aïeux, est une âme inaccessible à la
crainte ; et, bien convaincu que les qualités de l’esprit sont le seul avantage
réel, je ne rougirai pas d’avouer une pauvreté honorable, qui, aux jours de
l’antique vertu, faisait la gloire de Fabricius. Vous pouvez partager cette
gloire et cette vertu, si vous écoutez la voix du ciel et celle de votre
général ; mais si vous ne mettez pas fin à vos témérités, si vous voulez
renouveler le honteux et criminel exemple des anciennes séditions, continuez .
— Je suis disposé à mourir debout, ainsi qu’il convient à un empereur qui
s’est vu au premier rang parmi les hommes, et je dédaigne une vie précaire,
qu’un accès de fièvre nous enlève en un moment. Si je me suis montré indigne de
l’autorité, il y a parmi vous (et je le dis avec orgueil et avec plaisir), il y
a parmi vous plusieurs chefs qui ont assez de talents et d’expérience pour
conduire la guerre la plus difficile. Telle a été la douceur de mon règne, que
je puis rentrer sans crainte dans l’obscurité d’une condition privée [2766] . Son modeste
courage lui valut les applaudissements unanimes et l’obéissance empressée des
Romains ; ils déclarèrent tous qu’ils comptaient sur la victoire tant qu’ils
suivraient les drapeaux de ce héros. Leur valeur était encore animée par
certaines formules familières à Julien et ses serments les plus ordinaires : Puissé-je
ainsi réduire les Persans sous le joug ! Puissé-je ainsi rétablir la force et
la splendeur de la républiques ! L’amour de la gloire était sa passion
dominante ; mais ce ne fut qu’après avoir marché sur les ruines de Maogamalcha,
qu’il se permit de dire : Nous avons
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