Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
de mains en mains, ses
cendres déposées dans un vase d’or et couvertes d’un voile de soie. Le peuple
reçut les reliques de Samuel avec autant de joie et de respect qu’il aurait pu
en montrer au prophète vivant : la foule des spectateurs formait une procession
continuelle depuis la Palestine jusqu’aux portes de Constantinople ; l’empereur
Arcadius, suivi des plus illustres membres du clergé et du sénat, vint à la
rencontre de cet hôte extraordinaire, qui toujours avait mérité et exigé
l’hommage des souverains [3334] .
L’exemple de Rome et de Constantinople affermit la foi et la discipline du
monde catholique. Les honneurs des saints et des martyrs, après quelques
faibles et inutiles murmures d’une raison profane [3335] , s’établirent
universellement, et dans le siècle de saint Ambroise et de saint Jérôme, il
semblait manquer quelque chose à la sainteté d’une église jusqu’à ce qu’elle
eût été consacrée par une parcelle de saintes reliques qui pussent fixer et
enflammer la dévotion ces fidèles.
Dans la longue période de douze cents ans qui s’écoula entre
le règne de Constantin et la reformation de Luther, le culte des saints et des
reliques corrompit la simplicité pure et parfaite de la religion chrétienne ;
et on peut observer déjà quelques symptômes de dépravation chez les premières
générations qui adoptèrent et consacrèrent cette pernicieuse innovation.
I . Le clergé, instruit par l’expérience que les
reliques des saints avaient plus de valeur que l’or et les pierres précieuses [3336] , s’efforça
d’augmenter les trésors de l’Église. Sans beaucoup d’égard pour la vérité où
même pour la probabilité, on donna des noms à des squelettes, et on inventa des
actions pour les noms. Des fictions religieuses obscurcirent la gloire des
apôtres et des saints imitateurs de leurs vertus ; on ajouta à l’invincible
armée des martyrs véritables et primitifs une multitude de héros imaginaires
qui n’avaient jamais existé que dans l’imagination de quelques légendaires
artificieux ou crédules. Il y a même lieu de soupçonner que le diocèse de Tours
n’est pas le seul où l’on ait adoré sous le nom d’un saint les os d’un
malfaiteur [3337] .
Une pratique superstitieuse, qui tendait à multiplier les occasions de fraude
et les objets de crédulité, éteignit insensiblement dans le monde chrétien la
lumière de l’histoire et celle de la raison.
II . Les progrès de la superstition auraient été
beaucoup moins rapides et moins étendus si, pour aider la foi du peuple, on ne
se fut pas servi à propos du secours des miracles et des visions propres à
constater l’authenticité et la vertu des reliques les plus suspectes. Sous le
régné de Théodose, le jeune Lucien, prêtre de Jérusalem, et ministre
ecclésiastique du village de Caphargamala [3338] ,
environ à vingt milles de la ville, raconta un songe singulier, qui, pour
écarter tous les doutes, s’était offert, à lui pendant trois samedis consécutifs.
Une figure vénérable s’était présentée devant lui, dans le silence de la nuit,
portant une longue barbe, vêtue d’une robe blanche et tenant une verge d’or
dans sa main. Ce fantôme s’annonça sous le nom de Gamaliel, et apprit au prêtre
étonné que son corps, celui de son fils Abibas, de son ami Nicodème, et enfin
celui de l’illustre Étienne, le premier martyr du christianisme, avaient été
enterrés secrètement dans le champ voisin. Il ajouta avec quelque impatience
qu’il était temps de les délivrer, lui et ses compagnons, de leur obscure
prison ; que leur apparition dans le monde serait un remède salutaire à ses
maux, et qu’ils choisissaient Lucien pour avertir l’évêque de Jérusalem de leur
situation et de leurs désirs. De nouvelles visions vinrent à mesure éclaircir
les doutes et lever les difficultés qui retardaient l’exécution de cette
importante entreprise ; le prélat fit creuser la terre devant le peuple qui
s’était rassemblé pour en être témoin. On trouva les tombes de Gamaliel, de son
fils et de son ami à côté l’une de l’autre ; mais dès que l’on eut retiré la
quatrième, qui contenait les précieux restes de saint Étienne, la terre trembla
; et il se répandit une exhalaison semblable à celle qui doit remplir le
paradis, et dont l’influence guérit en un instant les maux divers dont étaient
affligés soixante-treize spectateurs. On laissa
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