Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
.
Attila, fils de Mundzuk, tirait son origine illustre, et
peut-être royale [3865] ,
des anciens Huns qui avaient combattu contre les empereurs de la Chine. Ses
traits, au rapport d’un historien des Goths, portaient l’empreinte de son
ancienne origine. Le portrait d’Attila présente toute la difformité naturelle
d’un Kalmouk [3866] ; une large tête, un teint basané, de petits yeux enfoncés, un nez aplati,
quelques poils au lieu de barbe, de larges épaules, une taille courte et carrée
; un ensemble mal proportionnée, mais qui annonçait la force et la vigueur. La
démarche fière et le maintien du roi des Huns annonçaient le sentiment dé sa
supériorité sur le reste du genre humain ; et on le voyait habituellement
rouler les yeux d’un air féroce, comme pour jouir de la terreur qu’il
inspirait. Cependant ce héros sauvage n’était point inaccessible à la pitié ;
il tenait inviolablement sa parole aux ennemis suppliants qui obtenaient leur
pardon ; et les sujets d’Attila le regardaient comme un maître équitable et
indulgent. Il aimait la guerre ; mais lorsque, parvenu à un âge mûr, il fut
monté sur le trône, la conquête du Nord fut plutôt l’ouvrage de son génie que
celui de ses exploits personnels ; et, il échangea sa réputation de soldat
audacieux contre la réputation plus utile d’un heureux et habile général. La
valeur personnelle obtient de si faibles succès partout ailleurs que dans les
romans ou dans la poésie, que la victoire, même chez les Barbares, doit
dépendre du degré d’intelligence avec lequel un seul homme, sait exciter et
diriger, pour le succès de ses projets, les passions violentes de la multitude.
Les conquérants de la Scythie, Attila et Gengis-Khan, étaient moins supérieurs
à leurs compatriotes par le courage que par le génie ; et l’on peut observer
que les monarchies des Huns et des Mongoux furent élevées par leurs fondateurs
sur la base de la superstition populaire. La conception miraculeuse, attribuée
par l’artifice et par la crédulité à la vierge, mère de Gengis, l’élevait
au-dessus du reste des mortels ; et le prophète sauvage et nu qui vint lui
donner l’empire de la terre au nom de la divinité, inspira aux Mongoux un
enthousiasme irrésistible [3867] .
Attila employa des supercheries religieuses aussi adroitement adaptées à
l’esprit de son siècle et de son pays. Il était assez naturel que les Scythes
eussent une vénération de préférence pour le dieu des combats ; mais, également
incapables de s’en former une idée abstraite ou une représentation figurée, ils
adoraient leur divinité tutélaire sous le symbole d’un cimeterre [3868] .
Un pâtre des Huns ayant aperçu qu’une de ses génisses
s’était blessée au pied, suivit avec attention la trace du sang, et découvrit,
à travers les herbes, la pointe d’une ancienne épée qu’il tira de terre, et
qu’il offrit à Attila. Ce prince magnanime, ou plutôt artificieux, reçut le
présent céleste avec les démonstrations d’une pieuse reconnaissance, et, comme
possesseur légitime de l’ épée de Mars , il réclama ses droits divins et
incontestables à l’empire de l’univers [3869] .
Si les Scythes pratiquèrent dans cette occasion leurs cérémonies accoutumées,
on dut élever, dans une vaste plaine, un autel ou plutôt une pile de fagots de
trois cents verges de longueur et autant de largeur, et l’on plaça l’épée de
Mars, droite sur cet autel rustique, arroser tous les ans du sang des brebis,
ces chevaux et du centième captif [3870] .
Soit qu’Attila ait répandu le gang humain dans ses sacrifices au dieu de la
guerre, ou qu’il se le soit rendu propice par les victimes qu’il lui offrait
sans cesse sur le champ de bataille, le favori de Mars acquit bientôt un
caractère sacré, qui facilitait et assumait ses conquêtes, et les princes
barbares avouaient, ou par dévotion, ou par flatterie, que leurs yeux ne
pouvaient soutenir la majesté éclatante du roi des Huns [3871] . Bleda, son
frère, qui régnait sur une grande partie de la nation, perdit le sceptre et la
vie ; et ce meurtre dénaturé passa pour une impulsion surnaturelle. La vigueur
avec laquelle Attila maniait l’épée de Mars, persuadait aux peuples qu’elle
avait été destinée pour son bras invincible [3872] : mais il
ne nous reste d’autres monuments du nombre et de l’importance de ses victoires,
que la vaste étendue de ses États ; et quoique le
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