Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
comte Marcellin avec les deux empires. Le
patrice, renonçant à son indépendance, s’était déterminé à reconnaître
l’autorité d’Anthemius, qu’il avait accompagné à Rome. Les flottes dalmatiennes
entrèrent dans les ports d’Italie ; la valeur de Marcellin expulsa les Vandales
de la Sardaigne ; et les faibles efforts de l’empire d’Occident secondèrent à
un certain point les préparatifs immenses des Romains de l’Orient. On a fait l’évaluation
exacte des frais de l’armement naval que Léon envoya contre les Vandales
d’Afrique ; et ce calcul, aussi curieux qu’intéressant, nous fournit un aperçu
de l’opulente de l’empire au moment de sa décadence. Les domaines de l’empereur
ou son patrimoine particulier fournirent dix-sept mille livres pesant d’or, et
les préfets du prétoire levèrent sur les provinces quarante-sept mille livres
d’or et sept cent mille livres d’argent ; mais les villes furent réduites à la
plus extrême pauvreté ; et les calculs des amendes et des confiscations,
considérées comme une partie intéressante du revenu, ne donnent pas une grande
idée de la douceur et de l’équité de l’administration. Toutes les dépenses de
la campagne d’Afrique, de quelque moyen qu’on se soit servi pour les défrayer,
montèrent à la somme de cent trente mille livres d’or, environ cinq millions
deux cent mille livres sterling, dans un temps où, a en juger par le prix
comparatif des grains, l’argent devait avoir un peu plus de valeur que dans le
siècle présent [4076] .
La flotte qui cingla de Constantinople à Carthage était composée de onze cent
treize vaisseaux chargés de plus de cent mille hommes, tant, soldats que
matelots. On en confia le commandement à Basiliscus, frère de l’impératrice
Vorine. Sa sœur, femme de Léon, avait exagéré le mérite de ses anciens exploits
contre les Scythes ; c’était dans la guerre d’Afrique qu’il se réservait de
faire connaître sa perfidie ou son incapacité ; et ses amis furent réduits,
pour sauver sa réputation militaire, à convenir qu’il s’était entendu avec
Aspar pour épargner Genseric et anéantir la dernière espérance de l’empire
d’Occident.
L’expérience a démontré que le succès d’une invasion dépend
presque toujours de la vigueur et de la célérité des opérations. Le moindre délai
détruit la force et l’effet de la première impression de terreur qu’elle a
produite sur l’ennemi. Le courage et la santé des soldats déclinent sous un
climat étranger, leur tiédeur se ralentit, et les forces de terre et de mer ;
rassemblées par un effort pénible et peut-être impossible à répéter, se
consument inutilement. Chaque instant perdu en négociations accoutume l’ennemi
à contempler de sang-froid ce qui ses premières terreurs lui avaient peint
comme irrésistible. La flotte de Basiliscus vogua sans accident du Bosphore de
Thrace à la côte d’Afrique. Il débarqua ses troupes au cap Bon ou promontoire
de Mercure, environ à quarante mille de Carthage [4077] . L’armée
d’Héraclius et la flotte de Marcellin joignirent ou secondèrent le général de
l’empereur et les Vandales furent vaincus partout où ils voulurent les arrêter
soit par terre, soit par mer [4078] .
Si Basiliscus eût saisi le moment de la consternation pour avancer promptement
vers la capitale Carthage se serait nécessairement rendue, et le royaume des
Vandalees était anéanti. Genséric considéra le danger en homme de courage, et
l’éluda avec son adresse ordinaire. Il offrit respectueusement de soumettre sa
personne et ses États au pouvoir de l’empereur ; mais il demanda une trêve
de cinq jours pour stipuler les conditions de sa soumission, et sa libéralité,
si l’on peut en croire l’opinion universelle de ce siècle, lui fit aisément
obtenir le succès de cette demande insidieuse. Au lieu de refuser avec fermeté
une grâce si vivement sollicitée par l’ennemi, le coupable ou crédule
Basiliscus consentit à cette trêve funeste, et se conduisit avec aussi peu de
précautions que s’il eût été déjà le maître de l’Afrique. Dans ce court
intervalle, les vents devinrent, favorables aux desseins de Genseric. Il fit
monter sur ses plus grands vaisseaux de guerre les plus déterminés de ses
soldats, soit Maures, soit Vandales ; ils remorquèrent après eux de grandes
barques remplies de matières combustibles, et, après y avoir mis le feu, ils
les
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