Histoire du Japon
est tenté d’expliquer sa puissance de survie par la force et la vérité de son enseignement moral. En un sens, cela doit être vrai, car la société chinoise doit sa stabilité à ses règles de conduite. Mais on pe 1 t arguer que, dans ses effets sur le Japon, ce qui distingue la morale confucéenne est le fait qu’il s’agit d’une morale sociale, qui contribue très peu aux jugements individuels sur le Bien et le Mal. Dans l’optique chinoise, semble-t-il, ce qui était conforme à l’ordre naturel – appelons-le li – était bon, et ce qui ne l’était pas était mauvais. Or cette vision néglige les problèmes éthiques de l’individu, ou du moins en fait une question non pas de conscience mais de convention. Peut-être est-ce là aller trop loin ; mais on peut affirmer qu’au Japon, la pensée chinoise contribua à l’organisation sociale plutôt qu’au développement spirituel de l’individu. En tout cas, c’est une conclusion plausible que de dire que l’impact du li sur l’esprit et le cœur japonais fut moins grand que celui de notions bouddhiques telles que le karma et la renaissance, qui ont une profondeur en même temps qu’une simplicité et un attrait émotionnel sans équivalent dans la conception rationnelle des maîtres chinois.
Il y a toutefois un trait marquant de la pensée confucéenne que l’esprit japonais, du moins dans la classe dirigeante, accueillit avec empressement : la suprématie des devoirs sur les droits. La pensée chinoise est hostile à toute dérogation au li, c’est-à-dire au comportement prescrit ; elle ne conçoit que des devoirs, rituels et sociaux, et en cas de conflit elle insiste sur le besoin d’harmonie et de compromis. Pour les fondateurs de l’empire Han, l’adoption du confucianisme comme doctrine usuelle entrait dans le cadre d’une politique délibérée visant au conformisme. Chez les Japonais, il fallait donc s’attendre à ce qu’il encourageât le conservatisme dans la vie politique et dans la vie sociale.
Sous cet aspect, on pourrait dire que le confucianisme eut une influence malheureuse, car une fois qu’il eut assimilé les principaux éléments de la culture chinoise le Japon entra dans une phase d’expansion qui demandait des expériences, fussent-elles négatives, plutôt que l’adhésion à un système prescrit. Et de fait, au cours de la période suivante, la décadence des institutions empruntées devint l’un des traits distinctifs de l’histoire japonaise.
CHAPITRE VI
La nouvelle capitale, 794-894
Le départ de nara
A Nara, les monastères avaient abondamment contribué à l’étude de la doctrine bouddhique et posé de solides bases à de futures recherches, tant historiques que métaphysiques – pour ne pas parler des futures controverses. En tant que re’igion, le bouddhisme avait une influence favorable, car non seulement il développait le savoir et élargissait l’expérience esthétique du peuple japonais, mais il servait aussi d’instrument de progrès matériel en encourageant des métiers utiles, la construction de routes et de bâtiments, et le perfectionnement de l’agriculture. En tant qu’institution, il exerçait toutefois une influence à maints égards nuisible à l’État. Les faveurs accordées aux grands monastères par le Trône et les principales maisons nobles avaient à ce point augmenté la puissance de l’Église que (ainsi qu’on l’a vu d’après la carrière du moine Dôkyô) la maison impériale était, ou paraissait être, en danger. Peut-être cela suffit-il à expliquer la décision prise par l’empereur Kammu de déplacer la capitale ; et bien que d’autres raisons aient été évoquées, on peut conclure sans risque de l’histoire des précédentes décennies que le gouvernement civil sentit que des réformes comme celles qu’il méditait ne pourraient être menées à bien à moins d’un changement complet d’atmosphère. S’il en était besoin, l’éloignement de Nara par rapport à la mer fournissait une autre raison. Il était important que le siège du gouvernement se trouvât sur ou à proximité d’un cours d’eau navigable, et comme on s’occupait déjà de développer le port de Naniwa, il était naturel qu’on choisît un site proche du Yodo, dans le delta duquel se trouvait Naniwa.
La cour fut d’abord installée dans un endroit appelé Nagaoka, à quelque cinquante kilomètres de Nara, dans la province de Yamashiro. Le déplacement
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