La Cabale des Muses

sommes convenus d’élaborer ensemble ce soir. Si je vous ai convié si promptement, c’était pour vous confirmer des informations capitales, reçues aujourd’hui même ; n’est-ce pas George ?
    L’interpellé releva la tête et s’arracha à une profonde réflexion. Sur un clin d’œil discret du Hollandais, La Tréaumont comprit et abonda dans son sens :
    — Il est vrai que nous avions évoqué cette éventualité sans nous y attarder.
    — Moi, je n’en ai aucune souvenance ! s’agaça Rohan.
    — Il n’est plus temps de fouiller et d’interroger la genèse, chevalier ; je me souviens que vous étiez à cette même place le mois dernier, serré dans un pourpoint gris perlé magnifique. Vous avez d’ailleurs précisé qu’il n’était pas utile de signer un document mais que nos paroles suffisaient.
    Effaré, le chevalier hésita à surenchérir devant l’aplomb d’Affinius et l’approbation de son compère. Avait-il vraiment oublié ?
    — Quelle cause ? martela-t-il pour reprendre l’avantage.
    — Celle qui nous unit. Il était logique que vous soyez les premiers bénéficiaires des bonnes nouvelles…
    Sur cette réplique évasive, le vieux filou se leva, se dandina vers le meuble où il tenait ses réserves et rapporta, avec un excès de précautions, une seconde carafe dont le contenu lui semblait des plus précieux :
    — Si vous avez apprécié le premier, celui-ci vous enchantera. L’été, il permet, frais, de se désaltérer ; en cette saison de grands frimas, il réchauffe le corps et le cœur.
    Il remplit les verres avec des gestes d’alchimiste, mira le sien et proposa :
    — À notre entente cordiale, à notre franche et fraternelle association et à la réussite de nos projets !
    Ils burent en silence, bouillonnant de sentiments divergents. Le vin eut un rapide effet lénifiant, cependant Rohan, qui se laissa resservir, insista, haussant le ton :
    — Quel sort réservez-vous au prince ? Que feront vos troupes sur notre sol ? Qui les commandera ? Quelle serait ma position dans ce stratagème ?
    — Je vous réponds sans équivoque. Nous nous chargeons des tâches ingrates et vous laissons les honneurs car votre nom claque comme une bannière prestigieuse au-delà des frontières. Il a suffi de le prononcer pour que s’offrent tous les soutiens escomptés.
    — Nous n’attendons plus que le financement de la campagne qui est estimé à deux millions, précisa La Tréaumont, lequel ne saurait tarder. Nous sommes en relation étroite avec le comte de Monterey, le gouverneur espagnol de Bruxelles.
    — Ce sont six mille Espagnols qui nous enforciront, des armes pour vingt mille hommes, des engins, des outils pour établir et tenir un siège.
    — Hamel, vous êtes fichtrement bien renseigné et mieux informé que moi !
    — Passant vous chercher tantôt, j’arrivais de Rouen. Pendant votre absence, nous avons œuvré sans relâche. Vous répugniez à me recevoir à Saint-Mandé. Ici, nous sommes moins exposés.
    — Tout va si vite, atténua Affinius avec un doux sourire de patriarche.
    — Quel rôle avez-vous cru bon de me faire tenir ? s’entêta Rohan.
    — Quel rôle, chevalier ? Le premier.
    — Plaît-il ?
    — Nos soldats seront placés sous votre commandement unique, se joignant aux troupes recrutées par La Tréaumont. La Normandie sera promptement investie et libérée du joug royal en quelques jours. Aucune armée ne s’opposera à votre avancée puisque toutes cantonnent à des semaines de marche ; d’autant moins que, devant notre ultimatum, Louis XIV ne voudra risquer la vie de son héritier. La province sera proclamée République autonome dont vous deviendrez le maître absolu !
    Affinius laissa vibrer ce point d’orgue. Subjugué un instant par le miroir aux alouettes, Rohan faillit s’enflammer. Toutefois, un vieux fond d’expérience guerrière et un reliquat de prudence le firent se cabrer. Il se contracta et rugit :
    — Il n’est pas question que j’endosse les oripeaux et les ornements d’un roitelet de comédie ! Je refuse de m’associer à cette pantomime dont les Hollandais tirent en cachette toutes les ficelles et qui en recevront les dividendes. En aucune façon mon nom et mes armoiries ne seront acoquinés à vos manigances, à vos conspirations !
    Il se campa, frappa du poing sur la table, déambula dans la pièce à grandes ramées, semblant se heurter à chaque mur avant de rebondir, dans une