La Cabale des Muses

duquel rebondit le cadavre qui acheva son ultime parcours à dix pas. Géraud rattrapa ses rênes, maîtrisa sa monture.
    À l’opposé, des hommes se faufilaient dans sa direction.
    — Qui êtes-vous, vous qui vous réclamez de Saint-Aignan ? beugla un gaillard barbu qui le tenait en joue de son énorme espingole.
    — Commissaire Lebayle, au service de monsieur de La Reynie, détaché auprès du gouverneur. C’est à ma demande que votre aide a été requise avec mon adjoint. Connaissez-vous ces hordes ?
    — Des coquins qu’un même informateur aura leurrés.
    — Je crois qu’au contraire ils étaient bien renseignés. Déplorez-vous des victimes ?
    — Un blessé léger.
    — Rappelez vos gens et rejoignez-moi. Cette affaire ne nous concerne pas.
    Rassuré, Lebayle attendit que les huit hommes récupèrent leurs montures, puis il les conduisit vers la retraite du prince d’où il vit s’avancer un Pistol penaud et résigné.
    — Notre cher dauphin t’a obéi au doigt et à l’œil : un quart d’heure ! Il vient juste de tirer sa révérence et file, ventre à terre, vers le logis paternel, oubliant tableau de chasse et peaux de loup.
    — Ce n’est pas plus mal ainsi, notre tâche en sera facilitée à plus d’un titre. Messieurs, il nous reste à faire bonne garde jusqu’à la fin de l’escarmouche afin d’interdire la route de Paris aux éventuels poursuivants.
    Ils se répartirent et se dissimulèrent au mieux, prêts à intervenir. Géraud et Pistol se placèrent au centre du dispositif. Soudain, le commissaire laissa fuser une exclamation :
    — Par Dieu, c’est lui !
    — Qui ça lui ? Où ça ?
    — Tout à l’heure, au cœur de la bataille : des Préaux ! L’un des deux groupes, c’étaient les « Gentilshommes de France » déguisés en bandits !

XXXIII
    L A PORTE SE REFERMA , les pas décrurent. Geoffroy testa la souplesse du matelas, pas assez moelleux d’après sa mimique.
    — S’il te convient pas, tu peux toujours coucher sur le plancher, tenta Lisa les dents serrées.
    — C’est toi qui le mérites, félon. Pourquoi tu m’as cogné de la sorte ? J’en ai encore le bourdon qui me résonne entre les oreilles.
    « C’est que ta tête est creuse comme une calebasse ! » faillit-elle répliquer.
    — Ta stupide mise à l’épreuve nous a entortillés dans de beaux draps, se contenta-t-elle de remarquer. C’était moindre mal pour nous éviter une mort certaine dans les bois.
    — On aurait pu jouer la comédie.
    — Qui aurait été dupe sans une vraie petite bosse ?
    — Bon, accordons-nous une trêve. On verra demain de quelle manière s’en sortir.
    Geoffroy se laissa rouler sur le lit, se recroquevilla, tourné vers le mur.
    — Il règne un froid de canard dans cette cellule sans feu, déplora-t-elle en virant sur elle-même.
    — Viens te coucher, maugréa le garçon.
    Il se glissa tout habillé sous les couvertures râpeuses.
    — Tu pourrais au moins te déchausser, pourceau !
    — Pas la force… Viens, on va se tenir chaud.
    Lisa se contracta. C’est précisément ce qu’elle redoutait. Sa pertinence et son inventivité s’étaient mises en hibernation au mauvais moment. Devait-elle l’assommer à nouveau avec la cruche fendillée posée sur la chaise paillée ?
    — L’en est pas question, répliqua-t-elle avec un temps de retard.
    Un autre souci prenait forme. Elle piétina encore, ouvrit la porte, écouta les échos du couloir. Aucune solution ne se présentait. Impossible de fuir, d’aller se cacher ailleurs dans cette maison inconnue avec l’unique petit morceau de chandelle qui ne tiendra pas cinq minutes. Le courant d’air cinglant la fit battre en retraite. Elle regretta presque son initiative d’avoir appelé à l’aide… regretta ensuite de n’avoir pas tapé assez fort : le lit aurait été pour elle toute seule. Elle tremblait de froid, d’épuisement, d’inquiétude. Et puis, elle se retenait depuis trop longtemps ! Les vannes de son lisse coquillage laissaient déjà suinter son urine et de se pincer la fente ne résolvait pas le problème.
    Un bruit nouveau interrompit sa giration d’ours en cage hésitant d’un pied sur l’autre : un léger ronflement ! Elle s’approcha. Le tyranneau dormait mieux qu’une bûche. Une lueur d’espoir… Lisa s’agenouilla pour tâtonner sous le lit, ramena ce qu’elle cherchait : un vase de nuit !! Propre… Encore un dernier écueil à