La confession impériale
les
localités d’une certaine importance pour y installer une garnison à l’abri de
forteresses de bois entourées de pieux. Je créerais ainsi des positions
stables. C’est ainsi que j’allais procéder à Eresbourg, sur le Diemel, et à
Sigisburg, sur la Ruhr, contrées de profondes forêts, d’immenses marécages et
de fleuves majestueux.
Notre marche fut favorisée par le fait que les
quatre nations qui composaient la Saxe parlaient, à quelques détails près, la
même langue, observaient les mêmes coutumes et croyances, pratiquaient les
mêmes rites païens : adoration des forces naturelles, célébration de héros
disparus, sacrifices animaux et humains…
Grâce aux rapports établis par les officiers
chargés de la garde de nos positions, qui se mêlaient aux habitants pour se
faire accepter et respecter, j’en appris beaucoup sur ces peuplades.
J’eus moi-même, dans un village de Westphalie,
un entretien avec un vieillard qui prétendait avoir plus de cent ans, ce que
semblait confirmer le squelette qui se dessinait sous la peau de son visage et
de sa poitrine. Des soldats me l’avaient amené, après l’avoir capturé comme un
fauve, en le disant atteint de démence sénile, mais ses propos, qu’un de nos
hommes me traduisit, étaient cohérents et sa voix avait gardé les intonations
de la jeunesse.
Il avait refusé de me dire son nom, mais pas
de chanter, avec des modulations pathétiques, la saga de son peuple depuis les
temps où les hommes vivaient nus et se nourrissaient de baies sauvages. Il me
raconta, comme s’il en avait été le témoin, la défaite du général romain Fabius
Quintillius Varus, dans les forêts du Teutoburger Wald. Ses légions avaient été
anéanties par les hordes du chef Arminius, un Germain qui avait combattu en
Afrique sous les bannières de Rome.
Durant les quelques jours que je le gardai
près de moi, je ne lui mesurai ni la viande ni le vin, le fis coucher sous ma
tente et le traitai avec respect, comme un père. Un matin, je constatai que cet
insecte à forme humaine et à carapace de chitine translucide s’était envolé
hors de ma tente sans me faire ses adieux, comme un papillon de nuit.
À quelques semaines
de là, alors que nous campions sur une rive de la Lippe, on jeta à mes pieds
une drôlesse surprise à rôder autour du camp comme une louve, avec à la
ceinture un coutelas destiné à me tuer pour venger les soldats morts des
derniers combats. Elle s’était débattue et avait blessé un de mes hommes.
Cette géante rousse, hirsute, bâtie comme une
Diane chasseresse, portait sur la poitrine des signes cabalistiques et des
talismans. Non sans réticence, elle consentit à me révéler son nom : Hilde
ou Hilda, et ses fonctions : prêtresse dans une tribu voisine. Qui l’avait
chargée de cette mission ? Personne ; elle avait agi de son propre
chef.
Pour mettre à l’épreuve la fermeté de ses
intentions, je lui remis son coutelas. Elle s’en empara avec une telle vivacité
que je crus qu’elle allait se ruer sur moi. Elle se contenta d’un sourire de
défi et se fit par bravade, sans sourciller, une entaille au bras. Elle allait
plonger l’arme dans sa poitrine mais un de mes gardes arrêta son geste.
Je fis appeler un truchement et dis à la
fille :
— Hilda, si je comprends ta décision, je
ne puis l’approuver. Qui sait si je n’aurais pas agi de même avec quiconque, et
de surcroît quelqu’un de ma propre race, aurait prétendu imposer à ma nation sa
loi et ses croyances ? Notre Dieu et son fils, le Christ, nous ont montré
la voie d’une nouvelle religion chargée de réprimer les coutumes barbares et
d’apporter la paix au monde. Refuser de suivre ces préceptes c’est leur faire
injure. Aurait-il réussi, ton acte eût été inutile. D’autres après moi auraient
repris ma mission interrompue.
Hilda écouta ce prêchi-prêcha sommaire d’un
air distrait, avec ce même sourire qui semblait gravé sur son visage. Je
n’étais pas fier de mon discours et incertain quant à son effet. Il contenait
de telles contradictions qu’un enfant s’en fût étonné.
Je la fis loger dans une tente bien gardée,
avec l’intention de la faire libérer après le repas du soir. J’appris à la
tombée de la nuit qu’elle avait tenté de s’évader et que des sentinelles
l’avaient rattrapée et tuée à coups de javelines alors qu’elle allait se jeter
dans la Lippe.
Dans les jours qui suivirent, je fus en
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