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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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de
phylloxéra avaient provoqué l'exode massif des familles
rurales vers la périphérie des villes. Sans travail
régulier, sans domicile, ils étaient la hantise des
gouvernements.
    La
mère supérieure n'avait jamais réfléchi à
ces choses-là du temps où elle était encore
Adrienne de Gerde. Rien ne la destinait à faire pa r tie
du peuple des exclus. Pourtant... Elle se laissa alors soulever par
un fleuve de rage. Elle était l'unique rempart des détenues
et elle mesurait pleinement en cet instant sa fragilité face à
la toute-puissante admini s tration
pénite n tiaire.
Mais elle n'était pas prête à abdiquer facilement Elle
se sentit flouée, trahie. Aussi cette violente rage intérieure
qui la submergea allait-elle lui donner la volonté de se
battre. La coupe était pleine. De son père à ses
supérieurs successifs, le temps était venu pour elle de
ne plus subir la loi d'hommes obnubilés par le pouvoir et
l'argent et dont elle avait pu vér i fier
que l'arrogance n'avait d'égale que la terrifiante lâcheté
dans les heures d'urgence.
    Ces
derniers mois, la disparition de sœur Agnès lui avait
r é vélé
du monde qui l'entourait bien des difficultés concrètes
et des vices c a chés.
Des problèmes d'organisation au quotidien en p a gaille
que sœur Agnès avait toujours pris en charge pour
l'épargner et la laisser à ses oraisons. Après
le décès de la jeune sœur, le monde du réel
que la mère supérieure avait to u jours
tenu à distance respectueuse à coups de prières
sol i taires
et de méditations avait fait dans sa vie monacale une entrée
fracassante. Et à moins de refermer sa porte à tout
jamais et de se dessécher de solitude et d'ennui, seule face à
Dieu, il lui était d é sormais
impossible de ne plus affronter la sordide réal i té
du cloaque où on l'avait envoyée pourrir. Elle se
souvint alors du tempérament de celle qu'elle avait été,
Adrienne de Gerde, et elle décida que déso r mais,
elle ne subirait plus rien. Elle allait se battre.
    — Sœur
Odile !
    — Oui,
ma mère ?
    — Occupez-vous
des détenues. Je sors.
    La
vieille sœur, celle-là même qui les avait
accueillies le premier jour sur le quai, roula des yeux stupéfaits.
    — Mais...
ma mère... il est six heures passées. La nuit va tomber
d'une minute à l'autre, c'est le mauvais moment, La couture se
termine et il va y avoir le chang e ment
pour le repas.
    — Je
sais. Je reviens vite.
    Sur
ces mots, la mère supérieure rajusta nerveusement sa
cornette, enroula son chapelet autour de ses doigts, glissa la main
dans la poche de sa robe et s'en alla. Sœur Odile la r e garda
partir sans comprendre. C 'était
la première fois que la mère s u périeure
quittait le carbet sans raison affichée et, qui plus est, à
ce moment particulier où la nuit tombe d'un seul coup et où
des ombres inquiétantes se lèvent sur la ville.
D'o r dinaire,
la mère supérieure n'avait plutôt de cesse de
vérifier que la palissade autour du carbet était bien
intacte et la porte bien fe r mée.
Fragile protection qu'il aurait suffi d'arracher de ses mains pour
qu'elle s'effondre mais qui créait une barrière
suffisante, du moins ju s qu'ici.
Les bagnards n'avaient jamais tenté de la forcer, et elle
perme t tait
de matérialiser l'enferm e ment
des détenues qui n'essayaient pas de fuir. Sœur Odile
était inquiète. Sous les tr o piques,
la nuit et le jour se succèdent sans qu'aucune aube ni aucun
crépuscule ne viennent te m pérer
le passage de l'un à l'autre et, à cette heure précise,
une ma u vaise
angoisse étreignait le cœur des pr i sonnières.
Quand on a vécu sur la terre de France et aimé ces
heures entre chien et loup oh le corps et le cœur s'habituent à passer
du monde de la lumière à celui de la nuit, et
inversement, la rupture peut être violente. La nosta l gie
est grande, les tensions se libèrent pour la moindre anicroche
et les débordements ne sont pas rares. Les sœurs
n'étaient pas de trop à ce
moment délicat des chang e ments
d'activité, quand la lumière tombe d'un coup. Si la
mère supérieure ne revenait pas à temps,
ce pourrait être dangereux. Un soir, Sœur Odile avait été
prise à partie
phys i quement
par une détenue particulièrement agitée.
Heureus e ment
la mère supérieure était arrivée très
vite, et, à sa seule vue, les choses étaient
immédiatement re n trées
dans l'ordre. Mais cette fois, si les détenues s'apercevaient
qu'elle était sortie et si par

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