La Dernière Bagnarde
Peu importe comment ça se passe.
D'ailleurs c'est pour ça qu'ils les ont fait venir, non ?
— Oui,
oui..., tu as peut-être raison.
Charlie
faisait tout pour faire bonne figure, mais il avait changé de
couleur. Deux mariages, c'était déjà beaucoup.
Le Chacal n'avait qu'à se marier lui-même pour avoir une
femme à sa disposition ! Seul e ment
Charlie n'osait rien dire, trop da n gereux.
Il valait mieux satisfaire le Chacal en permanence. Mais Charlie ne
pouvait pas non plus faire n'importe quoi. Pour chaque mariage, il
avait dû partir en concession, faire comme si. Travailler la
terre, remettre la case en état C'était du boulot, un
sacré boulot ! Du bo u lot
perdu.
Trimé
pour rien puisque rien ne marchait. Sauf le trafic au bar du Chinois.
Grâce à la
prostitution de sa femme, il se faisait un petit p é cule
et calmait le Chacal. Jusqu'ici les choses ne tournaient pas si mal,
pourtant Charlie était inquiet. Il tenait à sa vie
minable et, même si jusqu'ici l'administration avait fe r mé
les yeux sur son petit commerce, ça ne durerait peut-être
pas. Ici on vous laissait tout faire, et puis un jour ça
tombait Comme ça, d'un coup. On venait vous cueillir, et là,
ça ne rigolait pas. Charlie jouait sa tête et, comme il
v e nait
de le dire, le Chacal la lui trancherait officiellement sur le billot
sans états d'âme. Il se passerait même de l'avis
de l'administration. Il l'emmènerait en f o rêt,
ni vu ni connu, et le corps de Charlie pourrirait sur place. En deux
jours il serait dévoré par les bestioles et il n'en
resterait rien. Brrrr, Charlie frissonna à cette pensée.
Le Chacal encour a geait
les autres à faire le mal, puis il sanctionnait. Comment lui
échapper ? À Saint-Laurent le cercle du vice s'était
refermé depuis bien longtemps et
pe r sonne
n'y venait voir de près. Tout le monde était piégé.
La survie de chacun dépe n dait
de sa capacité à tenir son rôle, et malheur à
celui qui croyait pouvoir en sortir. On tuait pour rien, derrière
le bar ou dans la forêt, et les milliers d'insectes rampants ou
les requins se chargeaient de
faire disp a raître
les corps. Personne ne cherchait à savoir où étaient
les disparus. On disait qu'ils s'étaient fait la belle et on
classait l'a f faire.
C'était d'ailleurs comme ça que Cha r lie
s'était débarrassé de sa première femme
après qu'elle eut bien servi au bar du Chinois. Le p e tit
commerce ne marchait pas mal avec elle, mais à Saint-Laurent,
quoi qu'on fasse, les êtres et les choses ne duraient jamais
bien lon g temps.
Un soir où Charlie était occupé avec un garçon,
ils s'étaient j e tés
sur elle à plusieurs, tels des animaux. Comme des fous qu'ils
étaient devenus. Sans retenue, sans conscience aucune, ravagés
de t a fia
et de drogues. Et Charlie avait retrouvé sa femme à
moitié éventrée dans la cahute de paille qui
servait de couche derrière le bar. La m a chine
de mort avait fait son
œuvre. Il avait bien regretté son gagne-pain, Charlie. Comment
allait-il faire pour se payer les faveurs des garçons et le
tafia ? Et le reste ? La femme avait fini aux requins. Pas vu, pas
pris. Heureusement, il avait réussi à se marier une
seconde fois. Et cette Marie-là était solide, elle
tiendrait le choc Cha r lie
avait de belles heures devant lui s'il faisait attention. Il fit un
sourire de biais au Chacal et alla retrouver son jeune compagnon.
Dans ce
jeune b a gnard
arrivé de Marseille pour une bagarre qui avait mal tourné,
il avait trouvé quelque chose qu'il n'avait jamais ressenti
pour pe r sonne.
Pour la première fois de sa vie, il se sentait responsable.
Peut-être même aimait-il ? Il se sentait prêt à
tout pour ce garçon, même à d e venir
meilleur. Mais comment ? Le cercle infernal de coups bas et de
trah i sons
sur lequel il avait construit sa vie depuis bien avant le bagne ne
s'arrêterait pas d'un coup de baguette magique. À force
d'aller to u jours
du c ô té
du mal, Charlie ne savait pas comment inverser le cours de sa vie
perverse. Il était piégé comme il avait toujours
piégé les autres. « On récolte ce que l'on
a semé », rabâchait sa grand-mère de
Limoges. Ces sentences idiotes le faisaient rire. Aujourd'hui elles
r é sonnaient
pourtant à ses oreilles d'un son très clair. Serrant
son co m pagnon
contre lui, il jeta un coup d'œil vers le bar. Le Chacal le
fixait d'un œil dur. Que se passait-il ? Pourquoi ce regard ?
Charlie
savait que le Chacal n'avait pas
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