La Fin de Fausta
moi-même.
Le ton sur lequel elle prononça ces paroles parut si étrange au duc qu’il en fut vivement impressionné.
– Pourquoi ? fit-il, malgré lui.
– Parce qu’il vaut toujours mieux renoncer à une cause qui est perdue d’avance.
Elle disait cela sur un ton prophétique, avec une assurance déconcertante. Il était évident, cependant, qu’elle ne jouait pas la comédie, qu’elle ne cherchait pas à faire pression sur son père. Non, elle disait bien ce qu’elle pensait, tel qu’elle le pensait. Le duc avait beau avoir été à l’école de Pardaillan, il était superstitieux comme tous les joueurs – et n’était-ce pas une partie formidable qu’il voulait jouer ? une partie où, il le savait très bien, il laisserait sa tête s’il perdait ? Il se dit que la vierge ignorante et pure qu’était sa fille lui prédisait la sinistre vérité. Et, pris d’une inquiétude mortelle, il interrogea avidement :
– Pourquoi ma cause te paraît-elle perdue d’avance ?.
– Parce que vous auriez M. de Pardaillan contre vous, répondit Giselle sans hésiter, avec la même assurance.
Agrippé par la terreur superstitieuse, le duc s’attendait à une raison d’ordre surnaturel. Il va sans dire que plus cette raison eût été vague, incompréhensible, et plus elle l’eût frappé et inquiété. Il se trouvait que la raison donnée était on ne peut plus naturelle. C’était le moment de s’inquiéter, car cette raison n’était pas à dédaigner. Tout au contraire, il commença à se rassurer. Et, sans s’apercevoir qu’il rouvrait une discussion qu’il avait voulu étouffer, il répondit :
– Mieux que personne, je connais sa valeur. Pourtant, il n’est pas invincible, et je ne désespère pas d’en venir à bout.
– Peut-être, dit-elle. J’ai voulu dire que s’il se met contre vous, malgré l’affection profonde qu’il nous garde, je le sens, et mon cœur ne me trompe pas, c’est que votre cause lui paraît, à lui, qui est l’honneur même, bien mauvaise. Or, si ignorante, si inexpérimentée que je sois, je sais cependant qu’une cause mauvaise est perdue d’avance.
– C’est bientôt dit ! s’écria le duc.
Et, avec amertume, avec, à son insu peut-être, une pointe de jalousie paternelle :
– Ainsi, il vous suffit de savoir qu’il est contre moi pour que vous jugiez que ma cause est mauvaise ? Ainsi, entre son appréciation et celle de votre père, vous n’hésitez pas ? C’est la sienne que vous tenez pour valable. Voilà un manque de confiance, auquel, certes, j’étais loin de m’attendre… et qui me peine beaucoup.
Il semblait, en effet, très affecté, Giselle courba la tête, peut-être pour dissimuler les larmes qui embuaient ses beaux yeux. Et, redressant cette jolie tête, le fixant droit dans les yeux :
– Je vous en supplie à mains jointes, mon père, laissez parler votre enfant qui n’a pour vous que respect et vénération et mourrait sur place plutôt que de prononcer une parole offensante. Si je juge que votre cause est mauvaise, ce n’est pas, comme vous le dites, uniquement parce que M. de Pardaillan le dit et parce qu’il est contre vous. C’est parce que vous avez fait alliance avec une femme qui fut jadis l’ennemi le plus acharné de notre maison, une femme qui fut le bourreau implacable et féroce de ma bonne et sainte mère. Ce que vous n’auriez jamais dû oublier. C’est parce que vous comptez sur l’appui de l’Espagnol : l’or et les troupes de l’Espagnol. L’Espagnol, ennemi héréditaire et mortel de notre pays qu’il viendra de nouveau ravager pour vous, sur votre appel, à vous, mon père.
– Giselle ! bégaya le duc effaré.
Giselle n’entendit pas. Elle était lancée. Elle continua en s’animant :
– C’est ce que vous n’auriez jamais dû oublier non plus. Ainsi, mon père, votre cause s’appuie sur un ennemi de notre famille et sur un ennemi de notre pays ! Comment voulez-vous que je ne trouve pas, comment voulez-vous que tous ceux qui sauront ne trouvent pas, comme moi, que cette cause, qui était peut-être légitime et juste, est devenue exécrable par le fait de cette alliance monstrueuse ?
– Tu es cruelle, mon enfant, murmura le duc complètement désemparé.
– Non, protesta vivement Giselle, je vous sauve, mon bon père, en vous montrant l’erreur effroyable que vous alliez commettre. Car, Dieu merci, il ne s’agit que d’une erreur encore
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