La Fin de Fausta
l’héritage de votre père, si vous croyez y avoir droit, mais simplement, et ce n’est pas du tout la même chose, de renoncer à employer des moyens qui ne sont pas dignes d’un Valois.
– Renoncer à ces moyens, quand je n’en ai pas d’autres à ma disposition, c’est, songes-y bien, renoncer à l’héritage de mon père, c’est-à-dire à la couronne.
– Mieux vaut cent fois renoncer à tout, même à vos titres de comte d’Auvergne et de duc d’Angoulême, même à tous vos biens. C’est toujours avec orgueil et le front haut que je me proclamerai la fille de Charles de Valois, pauvre gentilhomme sans feu ni lieu, ayant préféré vivre péniblement de son travail, plutôt que de commettre une action indigne d’un fils de roi qu’il est. Tandis que je mourrai de honte à me savoir la fille du duc d’Angoulême devenu, de par la volonté d’une Fausta et d’un Philippe d’Espagne, imposé par la force brutale, roi d’une France ravagée, diminuée, démembrée. Car, n’en doutez pas, ils sauront se tailler leur large part.
Elle s’était animée, la noble et fière enfant. Elle se redressait de toute sa hauteur, avec une telle flamme dans son regard que le duc se sentit écrasé devant elle. Soyons juste : de tout ce qu’elle avait dit, une seule chose l’avait vraiment touché au point de le bouleverser. Et ce fut cela qu’il dit, d’une voix que l’émotion faisait bégayer :
– Giselle !… mon enfant adorée !… quoi ! toi, tu aurais cet affreux courage de renier ton père ?… Est-ce possible ?…
– Je ne renierai pas mon père… Je considérerai qu’il est mort…
Elle aussi, on sentait qu’elle avait fait un effort surhumain pour arriver à prononcer ces paroles jusqu’au bout. Dans sa voix brisée, on sentait rouler des sanglots déchirants, qu’avec une force de volonté vraiment admirable elle parvenait à refouler.
Le père, pantelant, déchiré, le sentit bien. Il souffrait mille morts. Son cœur pleurait des larmes de sang, qui le brûlaient comme du plomb fondu. Et cependant, malgré la douleur poignante de l’enfant adorée, malgré sa propre douleur, malgré les humiliations subies, malgré tout enfin, il ne parvenait pas à se résigner à renoncer à cette couronne qui le fascinait. Et il ne se rendit pas. Il se raidit de toutes ses forces, comme se raidissait son enfant, et il essaya de tenir tête encore :
– Et si je refuse de céder, que feras-tu, voyons ?
– Je suivrai ma mère dans sa retraite.
Il comprit qu’elle faisait allusion à l’abandon de sa mère décidé dans son esprit. Mais, cette fois, il ne recula pas, et payant d’audace, il risqua le mensonge :
– Tu suivras ta mère ?… Mais il me semble que ta mère sera près de moi ?…
Il ne put aller plus loin. Le regard fixe qu’elle dardait sur lui était tel que la voix s’étrangla dans sa gorge. Et ce fut elle qui reprit :
– Ma mère ne sera pas près de vous. Ma mère, comme moi, préfère la mort au déshonneur.
– Que ferez-vous ? bégaya-t-il, sans trop savoir ce qu’il disait.
– Je viens de vous le dire : la honte et la douleur nous tueront plus sûrement que ne pourrait le faire un coup de poignard, dit-elle avec un calme effroyable.
– Mais je ne veux pas que tu meures, moi ! hurla le père affolé.
– Nous mourrons, et c’est vous qui nous aurez tuées.
– Ma fille ! sanglota le père en s’arrachant les cheveux.
– Nous mourrons, répéta-t-elle, et sur les marches de ce trône convoité, vous trouverez les corps raidis de votre femme et de votre fille, qui ne vivaient que pour vous. Alors, quand vous verrez qu’il vous faut, pour vous asseoir sur ce trône sanglant, fouler aux pieds ces pauvres restes glacés, peut-être comprendrez-vous enfin quelle erreur criminelle fut la vôtre et reculerez-vous épouvanté.
L’horrible vision, évoquée avec le même calme sinistre, acheva de briser les dernières résistances du duc Il ne put la supporter. Cette fois, l’amour paternel fut plus fort que l’égoïsme, plus fort que l’ambition. Et vaincu, dompté, il gémit :
– Assez, assez !…
Et la saisissant dans ses bras, l’étreignant passionnément, la couvrant de baisers fous :
– Tais-toi !… Comment peux-tu dire ces choses affreuses ?… Tais-toi, je ferai ce que tu voudras, tout ce que tu voudras… pourvu que tu vives !…
Elle eut un cri de joie délirante :
– Ah ! je savais bien
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