La Gloire Et Les Périls
outre, chacune des
deux extrémités du goulet comportera, côté mer, et à faible distance de leurs
pointes respectives, une jetée construite perpendiculairement à la digue. Ces
deux jetées, elles aussi garnies de canons, pourront battre par le travers tout
vaisseau tâchant de zigzaguer pour passer le goulet. En outre, devant la digue
côté mer, nous allons dresser en quinconce plusieurs palissades de bois qui
vont gêner considérablement l’avance d’une flotte ennemie.
— Comment seront faites ces palissades ?
— De gros pieux enfoncés profondément dans la vase et
reliés entre eux par des chaînes.
— Est-ce que la tempête ne va pas en avoir facilement
raison ?
— Nenni, Monsieur le Comte, pour la raison que des
intervalles seront ménagés entre les pieux qui permettront à l’eau de passer.
D’un autre côté, ces palissades briseront quelque peu la force des vagues et,
par là même, protégeront la digue. Monsieur le Maréchal, poursuivit-il, votre
gobelet est vide. Vous plairait-il qu’il fut rempli derechef ?
Schomberg acquiesça, et moi aussi, combien que je n’en eusse
guère envie, mais je noulus laisser le maréchal boire seul, car cela aurait
augmenté son humeur escalabreuse. Elle l’était déjà bien assez : Schomberg
ne croyait visiblement pas à l’utilité de la digue. Il n’aimait pas les
ingénieurs, ni les maçons, ni ces gens qui voulaient rober la victoire aux
soldats et à leurs chefs par des inventions mécaniques. Il plaignait aussi
chattemitement les pécunes qui s’engloutissaient là, estimant que ces travaux
futiles ne servaient à rien, la guerre contre La Rochelle devant être gagnée
par des soldats et non par des cailloux mis en tas.
Tout en buvant mon deuxième gobelet de vin, j’envisageai
tour à tour Métezeau et Thiriot ; une question me brûlait les lèvres que
je noulais pourtant poser en présence de Schomberg, craignant qu’il n’ouît la
réponse et la répétât dans le camp. Comme le silence se prolongeait, Thiriot,
le plus fin des deux, entendit et mon regard et ma réticence et dit,
s’adressant à Schomberg :
— Monsieur le Maréchal, au premier étage de cette
baraque, il y a une fenêtre qui donne de bonnes vues sur l’ensemble de la
construction. Voulez-vous y jeter un œil ?
— Merci, j’en ai assez vu comme ça, dit Schomberg, le
nez dans son gobelet.
La même suggestion me fut alors faite, laquelle j’acceptai
aussitôt. Tant est que Métezeau, Thiriot et moi-même primes l’escalier de bois
qui montait au premier, et comme cet escalier était fort branlant, nous
montâmes sur la pointe des pieds et sans mot piper, comme si l’absence de noise
avait pu alléger notre poids.
— Messieurs, dis-je, après avoir jeté le plus bref des
coups d’œil à la fenêtre, je suis bien aise de vous parler au bec à bec,
voulant vous poser des questions délicates dont je voudrais bien ouïr, seul,
les réponses. Mais je voudrais vous dire de prime que je n’ai aucun préjugé a
priori contre la digue, la trouvant bien au rebours émerveillablement
conçue et construite. Voici ma question. Toutefois avant de la formuler, je
voudrais vous prier encore de ne voir rien d’hostile à votre œuvre. Ma question
est posée de bonne foi : la digue sera-t-elle utile ?
Il y eut là-dessus un assez long silence, Métezeau et
Thiriot se concertant de l’œil. Puis Métezeau répondit, non sans quelque
gravité :
— Monsieur le Comte, il y a plusieurs réponses à votre
question, mais la première et, se peut, la plus importante me paraît être
celle-ci : Monsieur le Cardinal, depuis l’occupation de l’île de Ré par
Buckingham dont l’Anglais fut délogé à grand-peine, a déployé une émerveillable
activité pour doter le roi d’une marine puissante. Mais à l’heure où nous
sommes, elle n’est pas encore assez forte pour battre en pleine mer une flotte
anglaise qui viendrait envitailler La Rochelle. Toutefois, la même flotte,
placée en avant-garde de notre digue et soutenue par nos canons, pourrait faire
le plus grand mal aux envahisseurs. D’autre part, Monsieur le Comte, vous
n’ignorez pas que Monsieur de Bassompierre est en train de construire, près de
Fort Louis, un port que nous appelons Port Neuf. On y doit mouiller la flotte
française et elle sera alors si proche de nous qu’elle ne peut faillir de se
joindre à la défense de la baie, dès que les voiles anglaises apparaîtront dans
le
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